« Des bancs de la fac aux marches du Palais (des Festivals) : cinq étudiants poitevins à Cannes »

En décembre 2014 les élèves de M2 et quelques élèves de M1 ont eu la chance de travailler sur un court-métrage réalisé par la cinéaste Aurélia Georges en partenariat avec la formation. Tourné sur le site des carrières du Normandoux, le film intitulé Un bain de jouvence a tellement plu à sa réalisatrice qu’elle en fait la séquence d’ouverture de son long métrage La fille et le fleuve.

Sélectionné à l’ACID au Festival de Cannes 2014, La fille et le fleuve était l’occasion pour les quelques élèves qui n’étaient pas en stage, Alice, Gildas, Hugo, Arthur et Kiowa, d’accompagner Laurence Moinereau, directrice du Master, Nicolas Contant, le chef opérateur, et Benoît Perraud, l’ingénieur du son du court métrage, sur la route de la Croisette…

Le voyage vu par Kiowa Le Clec’h

A bord de notre rutilant minibus super U, moi (Kiowa), mes quatre compères sus-cités, ainsi que nos trois accompagnateurs, nous sommes donc partis le samedi 17 mai au matin. Pendant le voyage les trois conducteurs se relaient et les autres planchent sur l’organisation du séjour. Aller au Festival serait l’occasion de rencontrer des assistants réalisateurs dont les films étaient en sélection. Sur la route, il fallait donc que nous établissions les questions pour les trois interviews filmées que nous avions prévues. Le reste du temps, entre quelques siestes, on regarde le programme du Festival et on réfléchit aux films qu’on veut voir. Dans l’espoir de pouvoir assister à une projection de la sélection officielle chacun a prévu sa robe de soirée ou son smoking dépareillé.

Dans le neuf places les avis divergent, si certains ne jurent que par Adieu au langage, le Avatar du vieil helvète neurasthénique, Jean-Luc Godard, d’autres misent tout sur le jeune prodige québécois Xavier Dolan, qui signe avec Mommy sa première participation en sélection officielle.

A Cannes cette année-là :

Présidé par Jane Campion, le Festival retrouve les habitués du cinéma social européen, Ken Loach, Mike Leigh ainsi que les frères Dardenne – preuve qu’il y a de la place pour les chômeurs à Cannes (enfin surtout sur les écrans) -, et David Cronenberg (Maps to the stars), qui deux ans après Cosmopolis ne fera pas « mouche » en terme de récompenses. En compétition également, trois Français et pas des moindres, Olivier Assayas (Sils Maria avec une Kristen Stewart qu’on se réjouit de voir autrement qu’en oie blanche dans des bluettes adaptant la littérature érotique pour mormons), Bertrand Bonello et son cinéma toujours haute couture (Saint Laurent) et enfin Michel Hazanavicius cinéaste faussaire qui a fait du détournement, du remake et du pastiche sa marque de fabrique (The Search).

Une arrivée en grande pompe

Arriver dans le festival de cinéma le plus connu du monde en minibus super U Buxerolles, c’est un privilège qui n’est pas donné à tout le monde. Mais c’est en cherchant à nous garer que nous avons compris pourquoi. TOUS les parkings cannois limitent l’accès des véhicules en hauteur, en général ils vont jusqu’à 1m80… notre fidèle destrier en faisait plus de deux… Autant vous dire qu’on a vite compris pourquoi tout le monde roulait en Porsche. A force d’échecs, nous avons fini par échouer au parking « minute » de la gare de Cannes. Parking qui doit probablement être en tête des lieux de stationnement les plus chers au monde dans le Guinness des records.

Dès notre arrivée le samedi soir nous avions la possibilité de participer à une vraie soirée cannoise. Du coup on n’a pas hésité longtemps et on a vite quitté notre hébergement, situé à une heure de route du Festival, pour voir de près à quoi ressemble ce genre de mondanité. C’est grâce à Jean Baptiste Germain (réalisateur, assistant réalisateur, intervenant au master et président de l’ACID) que nous avons eu des invitations pour la soirée de l’ACID. Même si on n’était pas venus jusque-là pour les soirées, on était bien content d’avoir réussi notre entrée dès le premier soir.  Sans surprise à l’intérieur c’est open bar et en bon serial noceurs, moi et mes quatre mousquetaires multiplions les allers retours pour nous servir du champagne. Sans le savoir, l’incruste façon cheval de Troie allait devenir notre mantra pour les jours à venir.

Le lendemain, nous avions rendez-vous sur la plage de la Quinzaine avec notre matériel professionnel pour réaliser deux interviews d’assistants réalisateur. J’avais envie d’intituler cette série d’interviews « On a croisé sur la croisette », mais je ne sais pas si cette idée a été retenue au montage. C’est donc dans de bonnes conditions que nous avons eu la chance de rencontrer Elsa Amiel et Julie Richard, respectivement première et deuxième assistante sur le Saint Laurent de Bonello, ainsi que Pierrick Vautier, premier assistant sur Les Combattants de Thomas Cailley. Cette fois on était là pour travailler et on se sentait presque légitimes en jouant les pique-assiettes, il faut dire qu’on arrivait pile à l’heure des petits fours.

Cannes off

Petit précis sociologique sur les festivaliers, les incrustes, les blogueurs … bref QUI va à Cannes ? Depuis ses débuts, ce n’est pas une surprise, le Festival a bien changé. Fini les Brigitte Bardot jouant les ingénues auprès des paparazzis sur le sable de la Croisette. Les starlettes d’aujourd’hui sont des blogueuses mode, ou de jeunes loups aux allures de maquereaux gravitant autour des soirées hype du Festival. Et puis il y a les badauds avec leurs escabeaux, ceux-là poirotent toute la journée derrière les grilles pour voir la montée des marches et raconter à leur voisine de palier qu’ils y ont croisé Georges Clooney. Et le cinéma dans tout ça? C’est dans les salles que ça se passe et sans accréditation vous pouvez tracer votre chemin. Moi et mes quatre fantastiques avions l’accred « cinéphile » (c’est-à-dire le lumpenprolétariat de l’accréditation dans la hiérarchie cannoise), ceci dit nous avions accès à toutes les salles hors sélection officielle. Laurence, Benoît et Nicolas quant à eux avaient un badge professionnel, ce qui leur donnait accès au Village du Festival et au Marché du Film.

Les marches rouges ont beau faire rêver les téléspectateurs chaque année, en tant qu’étudiants on savait très bien que la sélection officielle était inaccessible sans invitation. Quand on est étudiant en cinéma, on a tous un pote qui a tenté l’aventure cannoise en campant pendant 4h déguisé en pingouin devant le Palais des Festivals une pancarte en carton à la main. Nous, on voulait surtout voir des films, peu importe la notoriété de leur protagonistes. Les paillettes et la Jet Set n’étaient qu’une option facultative à ce voyage au pays du fric… et du cinéma !

Les Sélections

Cannes c’est aussi les AUTRES sélections, et elles sont nombreuses. Il y a Un certain regard, section dérivée de la sélection officielle, dont on a vainement tenté de voir Lost river de Ryan Gosling, le héros taiseux de Drive (oui bon on a tous notre côté midinette, rassurez-vous en apprenant qu’il y avait 3h de queue on ne s’est pas attardés).

La quinzaine des réalisateurs, rendez-vous manqué avec une Bande de filles parties avant notre arrivée. Sélection dont nous avons pu profiter à deux reprises après avoir trouvé par hasard des places faisant office de coupe file pour assister aux projections. C’est donc à la Quinzaine que nous avons assisté à notre première Première. Le campement Yéniche de Mange tes morts avait posé ses bagages dans l’immense salle Jacques Doniol Valcroze située au sous-sol de l’hôtel JW Marriott. Je peux vous dire que 800 personnes qui applaudissent devant l’équipe d’un film composée essentiellement d’acteurs non professionnels on s’en souviendra longtemps ! C’est également à la Quinzaine que nous avons vu Le conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata.

La semaine de la critique qui s’intéresse aux jeunes talents du cinéma et sélectionne les premiers films. Nous y avons vu Hope de Boris Lojkine qui ne nous a pas donné beaucoup d’espoir.

Et enfin l’ACID, l’association du cinéma indépendant pour sa diffusion, dont la sélection est présente depuis 1993 au Festival de Cannes et qui programme à peu près neuf films, pour la plupart sans distributeur. Hormis La fille et le fleuve, nous avons vu Cesta Ven (Zaneta) de Petr Václav. Un très beau film tchèque sur la vie d’une jeune femme rom interprétée par une actrice non professionnelle jouant quasiment son propre rôle.

Le grand soir, mardi 20 mai projection de La fille et le fleuve à l’ACID

En fin d’après-midi le grand moment est enfin arrivé, toute l’équipe remonte à bord du minibus qui sera pour l’occasion transformé en cabine d’essayage. Mieux que les loges du Palais des Festivals : tout le monde se change, robe et talons pour les filles qui se démènent pour trouver une paire de collants non filés. Smoking et nœuds papillons acheté à la dernière minute pour les garçons. Sur le bord de la route, à moitié habillés, les retouches maquillages s’improvisent dans les rétros sous les regards des curieux qui passent par là. Il faut dire qu’on est loin du glamour et des paillettes, mais une fois changés l’illusion est parfaite, une vraie équipe de cinoche! Lunettes de soleil sur le nez, sapés comme des princes on s’y croirait presque! C’est le moment d’immortaliser le voyage façon folklore cannois, la pose devant les marches et le tapis rouge du théâtre Debussy (car les vraies qui ne sont pas beaucoup plus impressionnantes sont sous bonne garde). C’est LA photo qu’on enverra à nos potes pour les faire rager, et à nos grands-parents, ceux qui nous traitent de chômeurs… ou d’intermittents (avec un peu de chance en la voyant ils pourront croire que nous avons percé). On l’enverra aussi à la fac pour que, le temps d’un article, on arrête de nous traiter de saltimbanques, qu’on ne rumine plus sur nos conventions de stage et qu’on devienne un peu la fierté de l’université.

Une fois notre quart d’heure de célébrité passé on se retrouve devant la salle de l’ACID pour assister à la première du film d’Aurélia George. D’un coup on se retrouve légèrement endimanché avec nos airs de jeunes premiers provinciaux. Ici l’ambiance est plus sobre et tout le monde doit avoir l’impression qu’on fait notre première communion. D’ailleurs c’est presque le cas. Après tout c’est ici que se joue notre réel moment de gloire, la première fois qu’on ira à Cannes avec l’équipe d’un film sélectionné… et peut être la dernière. Quand Aurélia convie les membres de l’équipe à la rejoindre sur la scène mes potes se regardent en se demandant si ils doivent y aller, puis finalement elle insiste et ils trouvent eux aussi leur place dans la brochette de techniciens devant l’écran. N’ayant pas participé au film, je préfère rester dans la salle et les filmer. Mais à la fin de la projection, en voyant leurs noms au générique, j’imagine qu’ils peuvent quitter la salle et se dire « J’ai fait partie de l’équipe ».

Ce petit moment d’émotion sera vite suivi d’un apéro avec le reste de l’équipe. Mes potes sont encore tout excités par leur première projection, ils se remémorent les anecdotes, chacun se rappelant où il se trouvait à tel ou tel moment du tournage, et les petits problèmes dont on rigolait moins six mois plus tôt. La pluie, le froid et la fatigue ont laissé place au soleil et à l’agitation. Tout le monde finit par s’en aller et ça ne doit pas faire moins de dix heures que le minibus est garé sur le parking minute de la gare. En même temps rares seront les occasions de repasser une soirée à Cannes alors autant continuer la nuit.

Une nuit au (petit) Majestic

Avec ses clients qui débordent dans la rue, le bar nous ramène à nos bons souvenirs pictaves, la bière coule à flot et ça tombe plutôt bien car la nuit commence tout juste ! Le petit Majestic c’est l’endroit rêvé pour les parias du festival bling-bling qui n’ont pas d’invite pour les projections et encore moins pour les soirées. Ce soir-là, on y rencontre plein d’étrangers, des réalisateurs de courts métrages mexicain et argentin, l’actrice du film Cesta Ven qu’on félicite pour sa performance et avec qui on fait des selfies plus que flous, une réalisatrice canadienne avec qui on se découvre un point commun en jouant au jeu des sosies (à Cannes ce jeu prend d’ailleurs tout son sens). Bref quand on repart il est 4h passées et on doit plus au parcmètre de la gare que la Grèce au FMI…

En rentrant on a prolongé la fête jusqu’au petit matin, après avoir vu le soleil se lever chacun a retrouvé son lit et a rangé sa tenue de soirée au vestiaire. La dernière journée était déjà arrivée et on avait moins de 5h de sommeil pour récupérer. Ça s’annonçait donc riche en Doliprane et en gueule de bois mais on ne se défilerait pas, on était là pour voir des films alors après un bon repas on a filé à la Quinzaine voir Le conte de la princesse Kaguya. Autant vous dire que dans une salle plongée dans le noir, avec des fauteuils bien confortables on faisait moins les malins. On se relayait dans notre sommeil et on demandait chacun notre tour au voisin où en était l’histoire. Ok pour tout vous avouer on s’en veut un peu mais à nous six on vous jure qu’on a vu l’intégralité de ce magnifique film. On a terminé la journée par une interview, celle de Caroline Tambour, première assistante des frères Dardenne en sélection officielle pour 2 jours 1 nuit.  Nous avions rendez-vous sur la plage privée d’un hôtel et les cocktails y étaient offert … Et on était à Cannes bordel on ne pouvait quand même pas refuser !

Épilogue

Jeudi 22, l’heure du départ est arrivée. La route qui nous ramenait vers Poitiers allait être longue. L’excitation avait laissée place à la fatigue. Vendredi matin nous avions rendez-vous avec des journalistes de France 3 à la fac mais je n’avais pas le cœur à être interviewée. Il fallait que je digère un peu le voyage, et que je garde les souvenirs pour écrire ce papier.

Cannes en bref 

  • 25h de route
  • 9 festivaliers poitevins
  • 8 accréditations
  • 6 jours
  • 5 films vus
  • 4 assistants rencontrés
  • 3 interviews réalisées
  • 2 soirées sur la Croisette et 2 incrustes sur des terrasses privées
  • Et LA projection d’un film auquel le master a participé

Kiowa Le Clec’H.