« Un bon assistant doit savoir partager ses incertitudes »
Entretien avec Luz Ruciello, 22 octobre 2017, Sao Paulo, par Fabien Peyrelade et Laurence Moinereau.

 

Nous avons eu la chance de rencontrer Luz Ruciello le 20 octobre 2017 à un happy hour de la 41ème Mostra de Sao Paulo, au bar de l’hôtel Golden Tulip. Nous étions invités dans le cadre d’un hommage à Paul Vecchiali, pour accompagner la diffusion de Trois Mots en passant et de Revoir La Martine. Elle venait présenter son premier long-métrage documentaire, Un cine en concreto.

Heureux hasard des rencontres, nous avions justement prévu d’aller voir son film le lendemain, et elle nous explique très vite que son métier principal est assistante mise en scène. Malgré les difficultés d’une conversation menée dans un franglespagnol improbable (décomplexé par la bière brésilienne), nous sommes immédiatement séduits par sa personnalité et son parcours, et elle accepte avec enthousiasme de nous accorder une interview et de nous parler en particulier du métier d’assistant. Alors que l’interprète qui doit l’emmener présenter sa séance la presse de nous quitter, elle nous confie de façon impromptue que la chose la plus importante qu’elle a comprise sur son métier, c’est qu’un assistant « doit savoir partager ses incertitudes… »

Formule surprenante, mais qui finalement lui ressemble, et sur laquelle nous aurons l’occasion de l’interroger, deux jours plus tard, lors d’un long entretien durant lequel elle nous parlera de ce métier mais aussi de son parcours, et bien sûr de son film. Nous avons choisi de traduire cet entretien en lui conservant sa durée et son caractère de discussion, en espérant que notre traduction permettra à Luz de partager avec ses lecteurs ses incertitudes, et ses convictions, aussi bien qu’elle a su le faire avec nous ! 

Parcours : du vidéo-club aux plateaux de cinéma

 

LAURENCE : Pouvez-vous choisir cinq mots pour résumer votre trajet personnel et professionnel ? Avec ou sans commentaires.

LUZ : curiosité, courage, peur, persévérance, et peur, encore…

LAURENCE : Comment avez-vous découvert le cinéma dans votre enfance ?

LUZ : Dans mon enfance je ne regardais que des films américains. Les premiers que j’ai pu voir sont des films comme E.T l’extraterrestre, Top gun ou encore GhosbustersJe suis née dans une petite ville donc nous n’avions pas forcément beaucoup de possibilités d’accès au cinéma, et nous n’avions pas de magnétoscope à la maison. Je me souviens du vidéo-club. J’y allais donc très souvent pour aller voir les films, les affiches, pour pouvoir toucher les cassettes VHS… Je pense que ce manque d’accessibilité au cinéma m’a donné plus d’énergie pour travailler dans le milieu du cinéma plus tard.

FABIEN : Y a-t-il également quelques films argentins qui vous ont marquée dans votre enfance ou est-ce juste le cinéma américain qui vous a en premier lieu donné l’envie de travailler dans le cinéma ?

LUZ : Des films argentins ? (réflexion) Non, pas au début du moins, alors que maintenant oui j’aime le cinéma argentin. Je trouve que les documentaires en Argentine sont plus intéressants que les fictions, parce que nous avons de nombreux problèmes de société, donc beaucoup de questions et de sujets possibles pour les documentaires. Et j’ai toujours trouvé les documentaires meilleurs que les fictions en Argentine.

LAURENCE : Comment êtes-vous devenue assistante réalisateur ? Était-ce votre désir, une occasion à saisir ou un moyen de devenir ensuite réalisatrice ?

LUZ : Tout d’abord, quand j’ai terminé mes études à la fac de cinéma, j’ai travaillé pendant trois ans dans d’autres domaines. C’était difficile pour moi de trouver du travail sur les tournages, car je n’avais pas de relations avec des gens du milieu. Donc j’ai commencé par envoyer des mails à des boîtes de production. Ça a duré des années ! (rires).
Un jour, le compagnon de ma mère m’a dit « J’ai un ami qui a été embauché par une boîte de production ». Donc j’ai écrit au producteur de cette boîte pendant six mois pour obtenir un entretien avec lui, en vain. Lors de la crise économique en 2001, avec la dévaluation du peso, de nombreuses boîtes de productions étrangères sont venues pour tourner des publicités en Argentine. Donc il y avait plus de travail dans ce domaine. La crise argentine a été mon tremplin pour commencer à travailler sur des tournages mais sur de la publicité, pas sur des films. Pendant huit ans j’ai fait des pubs, alors que j’avais toujours voulu travailler pour le cinéma. Je déteste les tournages de publicité.
Je ne parlais que de cinéma, cinéma, cinéma… Et un jour ça a payé et j’ai commencé sur un film en tant que deuxième assistante réalisateur. 

LAURENCE : Et en publicité vous étiez à quel poste ?

LUZ : J’étais seconde assistante. Pendant ces huit années je faisais toujours les mêmes choses… Ça a été un bon entraînement. Mais sur les tournages de films, je voulais devenir première assistante. J’avais envie de rester proche du réalisateur et du chef opérateur. Donc j’ai fait mon premier film comme première assistante, et en fait j’ai beaucoup souffert. Tous les vendredis, en fin de semaine, je pleurais… parce que c’était un film compliqué.

FABIEN : Qu’est-ce qui était compliqué, la découverte du métier de première assistante, le film, ou peut-être même le réalisateur qui était une personne difficile à gérer ?

LUZ : Non il n’était pas difficile, mais il avait également été premier assistant auparavant. Donc il a eu du mal à me donner des responsabilités, il voulait tout gérer.

FABIEN : C’était son premier film en tant que réalisateur ?

LUZ : Oui. Sa première fois en tant que réalisateur, et ma première fois en tant que première assistante (rires). Donc ça n’a pas été simple. Mais j’ai vraiment apprécié qu’on me donne cette opportunité. Étant débutante, j’ai été moins bien payé que ce que j’aurais dû être, mais ce n’était pas un problème pour moi.

LAURENCE : Être assistante réalisateur, c’était le métier que vous vouliez exercer depuis le début sur les tournages ?

LUZ : Oui. Pendant très longtemps, je ne voulais pas devenir réalisatrice, je n’en avais pas besoin.

LAURENCE : Combien de temps avez-vous été assistante ?

LUZ : Je suis encore assistante aujourd’hui. Mon premier film en tant que première assistante date de 2012. Mais je travaille dans l’audio-visuel depuis 2002.

 
L’assistant : un nageur de haut niveau ?

 

LAURENCE : Est-ce que vous aimez ça maintenant ?

LUZ : Oui, j’aime bien… Je suis également scripte de temps en temps. Parfois je préfère être scripte parce qu’il y a moins de travail à faire (rires), c’est plus reposant. Mais ce n’est pas satisfaisant pour une personnalité comme la mienne qui a besoin d’être sur tous les fronts, c’est pour ça que je préfère être assistante.

J’aime ce métier parce que c’est comme nager, c’est à dire que pour bien le faire, tu dois tout coordonner. Et pour moi il faut être beaucoup plus complet en tant qu’assistant parce qu’il faut à la fois gérer la communication, savoir briser les ego, faire face à une équipe dans laquelle chacun a toujours son mot à dire, et être capable chaque fois de s’adapter… Et puis tu es aussi le « policier du temps ». Tu dois avoir une parole. Si tu dis que ça se termine à 21h il faut qu’à 21h ce soit terminé, parce que si tu trahis ta parole plus personne ne te croira ensuite.

FABIEN : Avez-vous parfois besoin de l’aide du directeur de production pour que la journée se termine à l’heure ?

LUZ : Oui, j’ai besoin d’aide, en particulier pour les heures supplémentaires, parce qu’il y a des règles.

J’ai un système que j’aime beaucoup, c’est qu’une semaine avant le début du tournage, j’organise une réunion avec le chef opérateur, le réalisateur, le directeur de production et le directeur artistique. J’ai le plan de travail en format excel et je dis « Donc, pour cette séquence, on a une heure pour installer le décor, deux heures de tournage et vingt minutes pour tout ranger. Et à telle heure, c’est fin de journée. ». S’ils ont quelque chose à dire, c’est le moment. Ça me permet de savoir quand est-ce que l’on doit prévoir des heures supplémentaires, ce qui veut dire plus de dépenses pour la production. C’est le moment le plus important pour moi en préparation, le point d’aboutissement de mon travail.

FABIEN : Quelles sont les principales qualités pour devenir assistant réalisateur ?

LUZ : Pour moi, il faut être calme, respectueux, totalement dévoué au film. Et sensible aussi parce qu’on doit être capable de comprendre beaucoup de personnes différentes. C’est un vrai travail d’interprétation, il faut savoir interpréter la sensibilité des comédiens, celle du réalisateur etc.

Malheureusement je ne parle pas beaucoup de langues étrangères mais je pense que ça pourrait aussi être une bonne qualité.

Autre chose, qui ne répond peut-être pas à la question, mais je pense que l’on devrait connaitre et maitriser les gestes de premiers secours. Ça peut paraître bête, mais pas pour moi, car en tant que premier assistant réalisateur, on est le patron du plateau. S’il arrive quelque chose à un technicien, on devrait savoir comment agir.

FABIEN : Pensez-vous avoir la responsabilité des personnes sur le plateau ? Par exemple si un technicien ne se sent pas bien, parce que son métier est physique et parce qu’il travaille trop ?

LUZ :  Oui, mais je pensais surtout au fait que l’on tourne parfois des séquences risquées, par exemple avec une moto etc.

Une fois j’ai eu le cas d’un jeune comédien qui devait conduire une moto pour une scène et il était clair qu’il ne savait pas le faire. Bien sûr il protestait « mais si, mais si, je sais !! ». C’était dangereux donc je lui ai dit « Ok, tu n’as pas à le faire, je ne suis pas d’accord, je ne veux pas être responsable de ça ». J’ai ensuite appelé le directeur de production pour lui dire « Si tu veux l’autoriser, fais-le, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose! »

LAURENCE : La première fois que nous avons discuté, vous disiez qu’un assistant réalisateur pouvait partager ses incertitudes. Je trouve cela étrange car cela risque de déstabiliser les autres, non ?

LUZ : Oui je comprends et vous avez totalement raison. Mais en tant qu’assistant, il ne faut pas non plus prétendre tout connaître. Dans une équipe, il y a des connaissances et des expériences propres à chacun. On a besoin des autres pour progresser et rendre notre travail meilleur. Donc il faut parler des choses que l’on ne connaît pas. C’est à cela que je faisais référence en vous parlant d’incertitudes. Il ne faut pas faire semblant, mais être honnête sur ce qu’on sait ou pas. Tu trouveras toujours quelqu’un qui en sait plus que toi.

LAURENCE : Avez-vous un exemple concret d’une situation dans laquelle en tant qu’assistante vous avez eu une influence sur le tournage ?

LUZ : Oui, sur le dernier film sur lequel j’ai travaillé. C’était un bonheur pour moi parce qu’on tournait en Patagonie, on faisait énormément de route en montagne ce qui m’a permis de beaucoup parler avec le réalisateur (nous sommes devenus amis par la suite). Il n’avait pas encore trouvé la fin de son histoire, le scénario ne lui convenait pas. Je lui ai donné une idée qu’il a validée et que nous avons tournée. C’est gratifiant parce que c’était une bonne idée et il a voulu l’intégrer dans son film.

Un autre exemple est que parfois, je ne crois pas aux acteurs, à leur jeu, et je n’hésite pas à leur dire la vérité en général. Parfois ce n’est pas très bien vu (rires) mais c’est important pour moi de dire la vérité. Donc quand je ne crois pas en leur jeu, je dis « désolée mais là pour moi ça ne marche pas ». Et quelquefois on peut changer des choses. Par contre, cela suppose que j’aie une bonne relation avec le réalisateur. Si je ne l’aime pas, alors ça m’est égal.

LAURENCE : Et quelle était l’idée que vous avez trouvée pour conclure le film ?

LUZ : Le film est actuellement diffusé dans différents festivals et s’appelle Al Desierto (ndlr réalisé par Ulises Rosell). Mais je ne vais pas vous dire la fin si il sort en France… Bon, ok, vous l’oublierez ! (rires)

L’histoire parle d’un garçon et d’une fille. Le garçon a enlevé la fille. Mais en fait on ne sait jamais très bien si elle est vraiment sa prisonnière ou si elle a envie d’être avec lui. A la fin du film, la police retrouve la fille. Le réalisateur n’était pas convaincu par ce qui arrivait au garçon. Donc je lui ai dit « Peut-être qu’il pourrait apparaître entre les montagnes, et regarder la fille. Et là elle le regarde aussi, elle ferme la porte de la voiture, et la voiture s’en va. » Et c’est la fin actuelle du film. Mais je ne me souviens pas de la fin qui était prévue dans le scénario.

FABIEN : En tant qu’assistante réalisateur, quels sont votre pire et votre meilleur souvenir à ce jour ?

LUZ : Mon pire souvenir… peut être ma première expérience d’une manière générale. Mais je me souviens précisément du moment où j’ai enfin réussi à m’affirmer, à me dire « oui, tu peux faire ça ». On tournait une séquence avec de la musique et 70 figurants qui devaient être en rythme avec la musique. Je devais leur donner le top. La première fois, j’ai échoué. Le réalisateur (qui était aussi assistant réalisateur auparavant) a donc décidé qu’il ferait le top lui-même. Je me suis sentie mise à l’écart. Je suis donc allée le voir et je lui ai dit « C’est moi l’assistante, donne-moi une autre chance ». Il m’a laissé le refaire, et j’ai réussi cette fois-ci. Heureusement que je ne l’ai pas manqué une deuxième fois… (rires). C’est un risque, mais à mon avis, il faut prendre des risques (rires).

Mon meilleur souvenir, c’était sur mon dernier film, le réalisateur était super et moi je me sentais super bien. Mais j’en ai un autre, paradoxalement sur un film avec un réalisateur avec qui je n’avais aucun feeling. Ce n’est pas qu’il était stupide mais il avait très mauvais goût. C’est un grand fan de River Plates (une équipe de foot argentine ndlr), et un jour où l’on travaillait, il m’a demandé d’arrêter le tournage pour aller voir son équipe jouer à la télévision… Ça m’a beaucoup énervée, je le détestais. Et il avait mis le décor aux couleurs de son équipe de foot. La directrice artistique (qui est une de mes amies) me dit « Je ne ferai pas ça, je ne suis pas d’accord* (rires) non non non ». Et ensemble, on a gagné contre lui en expliquant que ça ne marchait pas du tout. C’était très compliqué parce que je ne l’aimais pas du tout… On avait deux personnalités trop différentes.

En tant que premier assistant, c’est important de rencontrer le réalisateur pour discuter un peu, avant de commencer à travailler avec lui. Ça permet de voir si on a un bon feeling ou non avec la personne.

* Dit en français

FABIEN : Est-ce que vous retravailleriez avec un réalisateur avec qui vous sentez que vous n’avez pas un bon feeling suite à cette première rencontre ?

LUZ : Seulement pour des raisons financières.

LAURENCE : A votre avis le travail d’assistant est-il plutôt artistique ou logistique ?

LUZ : Je pense que c’est plutôt un métier de logistique. Mais si on maîtrise tout sur le plan logistique, alors on peut se permettre de donner son apport artistique au film. Si on a 200 figurants à gérer ou si on a trop de travail et qu’on ne contrôle pas le plateau, alors on ne peut pas être impliqué dans le travail artistique.
Mais ce n’est pas vraiment un métier artistique.

FABIEN : On a vu avec Laurence dans votre filmographie que vous aviez également été assistante pour des documentaires. Y a-t-il des différences à ce poste entre le documentaire et la fiction, ou est-ce globalement le même travail ?

LUZ :  C’est assez différent. Le documentaire c’est très intéressant pour moi car on a plus de temps pour chercher et proposer des choses. C’est plus créatif dans l’ensemble. Mais je n’ai que très peu d’expériences en tant qu’assistante réalisateur en documentaire. Juste le Messi d’Alex de la Iglesia et c’est une série de reconstitutions, pas un vrai documentaire.

 

Le réalisateur : un chef d’orchestre spirituel ?
 

 

LAURENCE : Avez-vous toujours voulu devenir réalisatrice ou est-ce un pur hasard ?

LUZ : Non je n’y pensais pas, mais maintenant je me dis « Comment ai-je pu ne pas y penser ? » Vous me comprenez ? (rires)

LAURENCE : Mais si vous ne vouliez pas devenir réalisatrice, alors pourquoi avez-vous réalisé vos premiers courts-métrage ? (Un premier documentaire, Seis horas asi en 2001, et une fiction Madreselva en 2015 ndlr).

LUZ : Parce que le désir de réaliser est enfoui très très très profondément en moi. Mais je ne le reconnais pas, je ne l’affronte pas.

En tant que réalisateur, tu dois croire en toi, ce qui n’est pas mon cas; tu dois convaincre les autres (producteur, équipe technique…) ce qui est très difficile pour moi ; tu dois dire « Bonjour ! Je suis réalisatrice! » et je ne peux pas faire ça, et je n’aime pas ça. J’ai un problème personnel avec ça (rires).

Mais quand j’ai réalisé mon court-métrage il fallait vraiment que j’obtienne tout ce que je voulais moi. Je ne pourrais pas co-réaliser un film. Peut-être avec mon compagnon qui est chef opérateur et meilleur que moi dans pas mal de domaines. A chaque fois qu’il dit « ça oui, ça non » il a raison, mais avec mes amis ou d’autres personnes, ça ne marcherait pas! (rires).

FABIEN : Qu’est-ce que ça veut dire pour vous d’être réalisatrice ?

LUZ : Pour moi ce serait très intéressant si je pouvais en vivre. Mais je ne pense pas que ça arrivera dans cette vie (rires).

C’est un mode de vie particulier d’être réalisateur, parce que tu passes ton temps à voler des choses que tu aimes aux autres, et tu écris, tu es constamment en recherche, tu peux voir des films, lire des livres, tu es sans cesse en train de te nourrir. Si tu as une vraie nécessité de dire quelque chose, tu te nourris tout le temps de ce qui va te permettre de la dire le mieux possible.

LAURENCE : Avez-vous des mentors, des modèles ou des références particulières ?

LUZ : Oui, pour mon film j’ai revu un documentaire, Nostalgia de la Luz, de Patricio Guzman (2010). J’adore ce film, il m’a beaucoup émue. Il repose sur une métaphore et j’aime les films construits sur des métaphores. J’aime aussi Capturing the Friedmans (Andrew Jarecki, 2004).

En documentaire, j’aime aussi quand le réalisateur se met en scène dans son film. J’admire ce geste, parce que pour moi c’est très dur de faire ça et ça demande un très grand courage. On peut penser que c’est bon pour l’ego mais ça ne l’est pas, bien au contraire, c’est beaucoup de souffrance (rires).

FABIEN : Vous parliez de métaphore. Pouvez-vous nous donner une métaphore qui décrirait ce qu’est un plateau de tournage, pour des gens qui n’y connaissent rien?

LUZ : Pas facile… (hésitation) c’est comme un orchestre avec beaucoup de musiciens qui regardent le même point…

FABIEN : Et qui serait le chef d’orchestre ? Le réalisateur, l’assistant réalisateur ? Ça peut aussi être une autre personne comme le producteur par exemple.

LUZ : Techniquement c’est l’assistant réalisateur, mais spirituellement, c’est le réalisateur. Et les deux doivent être connectés entre eux. C’est l’une des choses les plus difficiles à réussir mais c’est la plus importante. Quand je regarde un réalisateur avec qui je travaille, je veux faire le meilleur film possible pour lui, je veux tout ce qu’il veut. Et je me fous du travail, du nombre d’heures… A deux heures du mat je suis encore là à vouloir continuer…

FABIEN : En tant que réalisatrice, qu’attendez-vous de votre assistant ?

LUZ : C’est très difficile pour moi de trouver un bon assistant. Parce que j’ai du mal à trouver quelqu’un qui ait un aussi grand sens des responsabilités que moi. Il faut trouver quelqu’un qui soit dévoué corps et âme, et très responsable. Mais quand tu réalises un film, tu dois comprendre que les autres membres de l’équipe, et en particulier ton assistant, ont une vie à côté et une vision des choses différente de la tienne.

Par exemple, il y a quelques semaines, un réalisateur m’avait recrutée comme assistante. J’étais ravie et honorée. Mon film Un cine en concreto était sélectionné au Mar del Plata International Film Festival, donc je lui ai expliqué « Il y a trois jours où je ne pourrai pas être présente, car je dois présenter mon film au festival. Je vais demander s’ils ne peuvent pas programmer mon film le week-end pour ne manquer qu’une seule journée de travail. ». Il m’a répondu qu’il ne me voulait plus… J’ai perdu le travail, ce qui m’a surprise, mais je l’ai compris. J’ai préféré être honnête et je me sens mieux en tant que personne. Je crois en moi, donc qu’il aille se faire foutre avec son film !

(rire général)

 

Un cine en concreto

 

Un cine en concreto raconte l’histoire d’Omar que Luz a rencontré par hasard alors qu’elle était en repérages. Omar, qui vit dans la province d’Entre Rios, en Argentine, a construit une salle de cinéma, tout seul, au–dessus de sa maison. Cela lui a pris 4 ans. Il y a installé un projecteur datant de 1928, des sièges prêtés par la mairie, une toile peinte en guise d’écran, et il sillonne lui-même le village pour annoncer ses séances et distribuer des tickets gratuits aux enfants. Mais à la mort de sa mère, qui possède le terrain, ses frères décident de vendre et Omar voit l’œuvre de sa vie détruite.

Pourtant, le récit ne s’arrête pas là…

FABIEN : Parlons maintenant de votre film Un cine en concreto. Vous nous avez dit que votre rencontre avec Omar était un hasard et qu’ensuite seulement vous est venue l’idée de réaliser un documentaire sur lui et son cinéma. Mais aviez-vous d’autres projets en cours à l’époque ?

LUZ : Oui j’avais d’autres projets. J’avais un scénario. Ça faisait 20 ans que je l’écrivais et le ré-écrivais. C’était un court-métrage, mais je n’arrivais pas à trouver la fin. Rien ne me convenait dans ce que je trouvais. Avant de rencontrer Omar, je ne pensais qu’à cette séquence finale…

Et pendant le tournage du documentaire (qui a duré 9 ans ndlr), j’ai réalisé deux courts-métrages. Un premier qui est un documentaire dans la petite ville de ma maman (Seis horas asi) pas très loin du village d’Omar par ailleurs, et un autre qui est une fiction avec mon papa (Madreselva).

LAURENCE: Qu’est-ce qui vous a le plus intéressée dans ce sujet ? Mis à part votre intérêt pour le projet d’Omar quel est l’enjeu central de votre film et qu’aimeriez-vous que les spectateurs en retiennent ?

LUZ : J’ai essayé d’illustrer l’opposition entre la lumière et le béton, tous les matériaux de construction. D’un côté ce qui est immatériel, impalpable, tout ce que vous ne pouvez pas toucher, de l’autre ce qui est concret, solide. Ma métaphore, c’est la lumière que l’on voit au début du film : les projecteurs, le soleil, les particules. C’était mon idée la plus ambitieuse, la plus difficile à traduire.

LAURENCE : Qu’est ce qui vous intéressait dans cette opposition ? Est-ce une métaphore du cinéma, de la vie ou autre chose ?

LUZ : Pour moi le film n’est pas un film sur le cinéma, il traite plutôt de l’amour. Pour Omar, son cinéma est un outil pour pouvoir donner et recevoir de l’amour. Donc le sujet du documentaire est encore autre chose : c’est sur la force intérieure.  Parce qu’Omar a un vrai pouvoir.

FABIEN : La première fois que vous avez rencontré Omar, avez-vous ressenti cet amour qu’il donnait aux autres ?

LUZ : Oui.

FABIEN : Et dès le début vous vouliez faire un film sur cet amour ?

LUZ :  Non, le sujet a été très compliqué à trouver. Je me suis beaucoup bagarrée avec Soledad mon amie et productrice (Maria Soledad Laici, Litoral Cine ndlr) : « C’est un film sur ça… Non, pas du tout, sur ça… ».

FABIEN : C’est un « work in progress ».

LUZ : Oui, pendant des années (rires). Mais Omar avait besoin de ce film, ou d’un autre, pas forcément le mien, mais il voulait un film. Il le voulait tellement, il était prêt à tout.

C’est étonnant parce qu’Omar est quelqu’un de très simple et c’est une bonne personne, mais il a un ego assez développé. Ça n’a pas l’air au premier abord et lui-même dit qu’il n’en a pas. Il fait tout pour les autres, par générosité, c’est indéniable, mais il n’empêche qu’il a beaucoup d’ego.

FABIEN : Il veut devenir la « star » du village ?

LUZ : (rires) s’il avait pu être une star de cinéma, il le serait. Je pense qu’on a tous des contradictions, et ça c’est la sienne.

FABIEN : Vous pensez que si le film connait un succès dans le village voire même en Argentine, cela va renforcer l’ego d’Omar?

LUZ : (rires) Nous étions tous les deux au festival de Lima, dans lequel mon documentaire était le film d’ouverture. Il y avait 1500 personnes présentes à la projection. Ils ont adoré le film, mais en fait c’est surtout Omar qu’ils ont aimé. Il est meilleur que le film. S’il était présent ici à Sao Paulo, il serait évidemment la star. Tout le monde voulait lui parler. Il a très bien géré ça parce qu’il est simple et c’est une bonne personne. Donc je sais qu’il vit très bien le succès du film. Et il le mérite.

LAURENCE : Pour revenir sur votre opposition entre la lumière et les choses concrètes… Vous disiez que le film parlait de l’amour, est-ce que vous liez cette métaphore à l’amour?

LUZ : La lumière est en contact avec tout. J’ai pensé à Dieu car Omar est très croyant. Alors j’ai commencé à travailler dans ce sens. Je pense que la lumière est partout au même titre que l’amour. Omar est une sorte de prêtre de l’amour dans sa salle de cinéma. Il l’a construite comme un temple de lumière.

 

 Le questionnaire d’AMPAR

 

 

LAURENCE : on termine par une série de questions auxquelles vous devrez répondre en un seul mot. Le métier de réalisateur en un mot ?

LUZ : Caractère.

FABIEN : Le métier d’assistant réalisateur?

LUZ : Détermination.

FABIEN : Un acteur ou un réalisateur avec qui vous aimeriez travailler ? Et pourquoi ?

LUZ : Mirela Pascual, une actrice uruguayenne. Pour sa voix, et son rythme, elle est super lente.

FABIEN : Et une personne avec qui vous ne voudriez pas travailler ?

LUZ : C’est une réalisatrice argentine qui est horrible, une ancienne danseuse. Elle représente tout ce que je déteste ; elle est très autoritaire, elle n’écoute et ne respecte personne. Ce n’est pas seulement elle, c’est aussi un genre de personne dont je ne veux pas être proche.

FABIEN : Le film qui vous a le plus impressionnée cette année ?

LUZ : Ce sont deux documentaires chiliens. Le premier est présenté à la Mostra de Sao Paulo et s’appelle El pacto de Adriana réalisé par Lissette Orozco.
Le second est Los Niños de Maïte Alberdi.

LAURENCE : Le film qui vous a le plus marquée dans votre enfance ?

LUZ : (hésitation) Labyrinthe de Jim Henson (1986) avec David Bowie.

LAURENCE : La pire des choses pour un réalisateur ?

LUZ : La non-communication.

FABIEN : Et pour un assistant réalisateur ?

LUZ : Idem. Et aussi pour un réalisateur le manque de sensibilité. Et pour un assistant le manque d’organisation.

LAURENCE : Ça ce sont leurs pires défauts donc la pire des choses qu’ils puissent faire subir à l’équipe. Mais quelle est la pire chose qui puisse leur arriver à eux ?

LUZ : Quand l’équipe ne te respecte pas, ne croit pas en toi.

LAURENCE : Ce qu’il peut arriver de mieux à un réalisateur et à un assistant réalisateur?

LUZ : Pour un réalisateur, c’est quand toute l’équipe est avec toi pour faire ton film. Pour un assistant réalisateur, c’est quand toute l’équipe est là pour t’aider.

FABIEN : Un don que vous adoreriez avoir ?

LUZ : Il y en a plein ! Peut-être … plus de talent. Je ne suis pas sûre mais je dois en choisir un ! (rires)

LAURENCE : Mais vous ne croyez pas que vous en avez déjà, du talent ?

LUZ : Non… Je ne pense pas.

LAURENCE : Votre héros ou héroïne préféré en fiction ?

LUZ : (rires puis hésitation) Je choisirai une femme mais je ne sais pas encore qui. Laissez-moi réfléchir. (ndlr : après réflexion, Luz nous a répondu par mail en choisissant les personnages de Julie (Juliette Binoche) dans Trois couleurs : Bleu de Krysztof Kieslowski et Sarah (Jennifer Connelly) dans Labyrinthe de Jim Henson).

FABIEN : Et votre héro(ïne) dans la vraie vie ?

LUZ : Sûrement mes deux grands-mères.

LAURENCE : Pourquoi ?

LUZ : Parce qu’elles ont eu une vie compliquée, une en particulier. La deuxième était une femme très heureuse malgré le fait qu’elle ait eu une vie très modeste et très simple.

LAURENCE : Si vous n’étiez pas vous-même, qui auriez-vous rêvé d’être ?

LUZ : Björk ! (rires)

FABIEN : Comment vous imaginez-vous dans 10 ans ?

LUZ : Pfffiou. J’essaye de ne pas y penser, ce serait trop déprimant. Ce serait comme rassembler toutes mes peurs ! Je n’ai rien de prévu pour dans 10 ans (rires).

LAURENCE : Vous avez une devise dans la vie ?

LUZ : C’est une citation de Sylvia Plath « Character is fate ».

Il y a aussi un très joli texte de Clarice Lispector, une auteure brésilienne qui a vécu en Hongrie. C’est comme une devise mais en plus long. C’est magnifique, ça vous donne de la force.

Ndlr : après enquête, il s’avère que le texte en anglais que nous a envoyé Luz n’est sans doute pas de Clarice Lispector, bien qu’il soit référencé à son nom sur certains sites. Nous reproduisons donc ci-dessous l’original du texte que nous a envoyé Luz.

Les lusophones pourront trouver l’original ici : https://canaldepoesia.blogspot.fr/2012/04/clarice-lispector-ja-escondi-um-amor.html

Et une traduction en français du texte portugais est proposée ici : https://tsunamibooks.jimdo.com/2016/11/23/et-alors-j-adore-voler-clarice-lispector/

Le portrait de Luz utilisé dans cet article provient du site de la Mostra : https://www.flickr.com/photos/39mostrasp/sets/72157687271742381/with/37766110062/

Les images qui ne sont pas des affiches ont été choisies librement par Luz.

“I have hidden a love fearing to lose it;

I have lost a love because I hid it.

I held the hands of someone because I feared;

I have feared so much that I barely felt my hands.

I have ostracized people I loved from my life;

I have regretted it.

I have passed nights crying until I slept;

I have gone to sleep so happy that I couldn’t keep my eyes closed.

I have believed in perfect love;

I have discovered it doesn’t exist.

I have loved people that failed me;

I have failed people that loved me.

I have passed many hours in front of the mirror trying to discover who I am;

I have had such a certainty of me that I wanted to disappear.

I have lied and regretted afterwards,

I have spoken the truth and also regretted it.

I have pretended to not give importance to people I loved,

Then, later I cried alone in a corner.

I have smiled while tears of sadness blurred my eyes,

I have cried because I laughed so hard.

I have believed in people that were not worthy it,

I have not believed in people that were.

I had laughter fits when I couldn’t.

I have broken glasses, plates and vases because I was angry.

I have longed for someone and never told the person.

I have screamed when I should have been quiet;

I have been quiet when I should scream.

Many times I didn’t speak my mind to be agreeable to some;

Other times, I said things I didn’t believe to hurt others.

I have pretended to be someone I am not to be agreeable to some;

I have pretended to be someone I am not to be disagreeable to others.

I have told bad jokes after bad jokes just to see a friend happy;

I have created stories with a happy ending just to give hope to someone that needed it.

I have dreamed so much that I have mistaken dreams with reality.

I have feared the darkness;

Now in the darkness I find myself, I crouch, and stay there.

I have fallen many times thinking I would never rise back.

I have risen many times thinking I would never fall again.

I have called people I didn’t want to call;

Just so I wouldn’t call those I did want to call.

I have ran, following a car, because it was taken away someone I loved.

I have called my mommy in the middle of the night, because of a nightmare.

But she didn’t come and it was an even worse nightmare.

I have called close people of friends and I discovered they were not friends.

Other people I have never called anything and they were always special in my life.

Don’t give me formulas to do what is right;

I don’t expect to be always right.

Don’t show me what you expect from me, because I will always follow my heart.

Don’t make me to be what I am not;

don’t invite me to be an equal, because honestly I am different.

I don’t know how to love half;

I don’t know how to live a lie;

I don’t know how to fly with my feet in the ground.

I am always me; but certainly I am not going to be always the same.

I like the slower poisons, the bitterest drinks, the most powerful drugs, the craziest ideas, the most complex thoughts, and the stronger feelings. I have a huge appetite and crazy deliriums. You can even throw me from a mountain peak and I will tell you, so what, I love flying!