Au mois d’avril 2015, les étudiants du Master professionnel Assistant réalisateur, dont je fais alors partie, ont la chance d’accueillir le réalisateur Paul Vecchiali à Poitiers pendant deux semaines. Il est venu discuter avec les élèves de son œuvre, mais surtout réaliser à leurs côtés un court-métrage, Trois mots en passant. Un jeune cinéaste, Pascal Catheland, filme ce tournage, et en tire un essai documentaire, Revoir La Martine. AMPAR co-produit les deux films.

Deux ans plus tard, les films sont toujours programmés dans des festivals. Les rétrospectives sur la carrière de Paul se sont notamment multipliées ces derniers temps et Trois mots en passant en a bénéficié. En cette fin d’année 2017, du 19 octobre au 1er novembre, c’est à la Mostra de Sao Paulo que l’œuvre de Paul est mise à l’honneur. La distance ne nous effrayant pas, j’ai (Fabien) la chance d’accompagner nos deux films aux côtés de Laurence Moinereau, directrice du Master, missionnée pour aller rencontrer les collègues et étudiants du département cinéma de l’USP (Université de Sao Paulo), l’une des principales universités d’Amérique latine. Nous retrouvons sur place Paul, qui est venu avec Malik, et nous avons même le privilège d’être des invités à part entière du festival (avec pass illimité et invitations aux soirées). Notre petit court-métrage devient de plus en plus international !!!

La Mostra, créée en 1977 par le critique de cinéma Léon Cakoff, est le deuxième plus gros festival du Brésil après celui de Rio. Il n’y a pas d’effervescence ou de tapis rouge sur lequel se ruent toutes les stars du moment, comme on peut le voir dans certains festivals, mais la plupart des cinémas de la ville sont mobilisés pour l’évènement. Énormément de films de toutes les nations du monde sont diffusés (et plusieurs fois). Comptez donc une trentaine de cinémas, ayant plusieurs salles et diffusant quatre films par jour, ça vous laisse imaginer le nombre de films en compétition… Sans compter les diverses rétrospectives, sur Paul, mais aussi sur Agnès Varda ou Alain Tanner par exemple. Bien qu’il semble privilégier le cinéma d’auteur, le festival propose des films de toutes sortes, même des comédies plus populaires (on a pu y voir dans la programmation Le sens de la fête d’Eric Toledano et Olivier Nakache). Il n’est donc pas facile de s’y retrouver et on a eu au sens

V.I.P

Pour la première fois de ma jeune vie, je suis invité à un festival international de cinéma… au bout du monde… et avec mon ancienne directrice de master. Être l’invité d’un tel festival donne droit à quelques privilèges dont nous n’avions pas franchement l’habitude au quotidien.

Les quatre premières nuits nous sont offertes dans un hôtel quatre étoiles, le Golden Tulip : situé en plein centre ville dans le quartier des affaires, proche de l’avenue Paulista, l’artère principale de la ville (une sorte d’avenue des Champs-Elysées à Sao Paulo), il est également proche de la plupart des cinémas partenaires du festival, ce qui est parfait pour prendre ses marques les premiers jours. Le matin, petit déjeuner intercontinental, avec au menu des spécialités brésiliennes telles que les bananes frites, café du pays et toutes sorte de brioches et de fruits. Après ces quatre nuits, nous déménagerons dans un appartement du quartier de Pinheiros, plus populaire/bobo, parfait pour les balades et les verres en terrasse – une version exotique du 20ème arrondissement !

Ma plus grande surprise est d’apprendre qu’un pick-up est prévu pour notre arrivée à l’aéroport. En tant que régisseur, j’ai l’habitude d’aller chercher les comédiens chez eux, à la gare ou à l’aéroport pour les emmener sur les plateaux, ou dans leur appartement loué par la production. Cette fois-ci, les rôles s’inversent, et je dois avouer que ce n’est pas désagréable de ne pas avoir à chercher un taxi ou un bus après plus de 12h de vol. Hélas le luxe ne sera que de courte durée puisqu’à notre retour à Charles de Gaulle, personne ne nous attendra avec voiture et parapluie… Pour Laurence comme pour moi il s’agit de notre premier vol vers le Brésil. Dans l’avion c’est l’euphorie, on se prend pour les rois du pétrole, version classe éco, et on commande du champagne.

C’est au Golden Tulip que se trouve la guest room : une salle dans laquelle les organisateurs travaillent tous les jours jusqu’à 23 heures et où les invités viennent récupérer leurs badges, leurs kits du parfait festivalier (tote-bag, tee-shirts, catalogues…), et toutes les infos. Et c’est à la terrasse du bar qu’a lieu tous les soirs, de 17 à 19h, un happy hour arrosé de bière brésilienne ouvert à tous les invités. Nous y rencontrerons un chef opérateur suédois, un peu illuminé, qui nous vante les stages de développement personnel qu’il suit auprès d’une vieille dame à Malte, et un jeune documentariste suisse, Karim Sayad, venu présenter son documentaire Of sheep and men. Mais notre rencontre la plus marquante est celle de Luz Ruciello, assistante réalisateur argentine venue présenter son premier documentaire comme réalisatrice, Un cine en concreto, qui accepte de nous accorder un entretien, à découvrir sur ce site : lien.

Dans le sillage de Paul et Malik, nous sommes également chouchoutés par la diplomatie française au Brésil ! Chloé Bernabé Di Rollo, chargée de mission audiovisuel au consulat de Sao Paulo, et Raphaël Ceriez, attaché audiovisuel à l’ambassade de France, venu de Rio pour l’occasion, accompagnent plusieurs projections et nous invitent avec toute la délégation française dans un restaurant chic de la ville où nous découvrons des plats gastronomiques aux saveurs brésiliennes. Laurence et Malik tombent sous le charme d’un dessert à base de glace coco et de mousse de mangue. Un peu jaloux avec ma mousse au chocolat, je retournerai dans ce restaurant en pleine après-midi quelques jours plus tard pour déguster uniquement ce fameux dessert…

Ce séjour m’offre l’occasion de découvrir les privilèges des invités de festivals, ceux auxquels ont droit les comédiens que je transporte et/ou que je croise sur les plateaux tous les jours au travail. Aller à l’autre bout du monde, et échanger les rôles : c’est un peu mon rendez- vous en terre inconnue à moi, sans Frédéric Lopez pour nous faire pleurer…

You’re talking to me ?

Le Brésil c’est bien, c’est même très bien, mais les habitudes et modes de vies sont différents de ceux de l’Europe. Ce qui m’a le plus marqué, c’est que très rares sont les Brésiliens qui parlent ne serait-ce qu’un mot d’anglais. Heureusement, les membres de l’organisation du festival le parlent, mais à part eux, et les quelques étudiants que j’ai pu rencontrer, il est bien difficile de trouver un anglophone dans la rue ou les magasins. La communication s’annonçait compliquée pour moi qui ne maîtrisais ni l’espagnol ni le portugais… Et je le comprends dès mon arrivée, le premier soir, lorsque je commande une bouteille d’eau en anglais, et que je me retrouve avec… un Coca-Cola.

Parvenir à équiper nos téléphones de cartes sim brésiliennes est une aventure qui nous prend plusieurs jours, à grand renfort de malentendus alimentés par l’usage que les vendeuses des opérateurs font de google trad, et certaines de nos premières sorties se transforment en épopées. Deux jours après notre arrivée, partis en coup de vent à la cinémathèque voir le film d’Alain Tanner Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, nous sautons dans le premier taxi venu au pied de l’hôtel qui nous annonce une course à 30 reais… Dix minutes plus tard, alors que le trajet nous éloigne de plus en plus dangereusement du centre ville et que le compteur frôle déjà les 40 reais, nous pensons un peu tard à nous concerter et constatons que nous n’avons à nous deux que 50 reais. Contre toute attente, le chauffeur s’avère un vrai gentleman : il explique qu’il s’est perdu et s’en tient au prix fixé mais nous voici sans un sou pour le retour, dans un lieu très excentré, sans internet pour commander un uber, situer la station de métro la plus proche, ou demander de l’aide aux organisateurs du festival… Impossible de trouver quelqu’un qui parle bien anglais, et l’air désemparé que prennent nos interlocuteurs quand ils semblent comprendre notre situation n’est pas fait pour nous rassurer.

Finalement, alors que nous tentons d’intéresser la caissière à notre sort, un monsieur derrière nous dans la file d’attente nous interpelle en français ! Le bonheur ! Il propose de nous indiquer la station de métro la plus proche à la sortie du film et fera encore mieux en nous amenant finalement en voiture à la suivante : à Sao Paulo, le métro ferme à minuit pile, voire un peu avant, et nous étions sur le point de rater la correspondance. Comble de surprise, nous lui parlons de Paul Vecchiali et il nous dit avoir vu lors de sa dernière visite en France Nuits blanches sur la jetée… Nous découvrons avec étonnement et plaisir la francophilie des brésiliens cultivés. Au Brésil, voir un film français, ou lire un écrivain français, c’est classe ! Et à plusieurs autres reprises dans notre séjour, nous serons abordés spontanément ou aidés par des francophones. Même le jeune gérant du restau branché bio où nous prenons nos habitudes à Pinheiros ne rêve que de Paris et prend des cours à l’Alliance française.

Rentrés indemnes de notre expédition, nous apprenons les jours suivants que prendre un taxi sans passer par une application qui implique un suivi GPS, c’est risquer un enlèvement ou un braquage, et que le métro est très déconseillé après 21 ou 22 heures… Dans l’euphorie, on avait un peu oublié que l’on était dans l’un des 50 pays les plus dangereux du monde. Mais nous avons eu la chance des innocents…

La fièvre du dimanche et du jeudi soir

Dans les symboles associés au Brésil en dehors du foot, on peut dire que les Brésiliens aiment danser, et plus particulièrement la samba ! Et j’ai constaté que ce cliché n’est pas infondé. En effet, les Brésiliens aiment danser la samba, dans les clubs, dans les bars ou même en pleine journée dans la rue.

Tous les dimanches, l’avenue Paulista est réservée aux piétons et aux cyclistes toute la journée. Difficile d’imaginer cela en France, mais pas à Sao Paulo. En se baladant dans cette immense avenue, on croise des petits marchés d’antiquités mais aussi et surtout de nombreux concerts, qu’ils soient improvisés (deux musiciens et un ampli sur le trottoir) ou bien plus développés. En une journée, on peut croiser un groupe de rock sur scène, puis, plus loin, un DJ qui va faire danser une cinquantaine de personne, et encore après un stand de samba. N’ayant pas les compétences, nous nous sommes abstenus de danser avec Laurence, mais nous avons pu admirer une quinzaine de couples pendant plusieurs minutes. C’était très beau à regarder car c’était maîtrisé sans parler du fait que la samba est une danse très sensuelle. En France il est presque impossible de voir deux inconnus danser d’une telle manière. Le plus impressionnant, c’est de voir un tel spectacle en pleine journée, au milieu de l’avenue, et pour couronner le tout, sous la pluie (oui il pleut beaucoup à Sao Paulo et surtout de façon imprévisible). Inutile de dire que nous nous sentions bien moins séduisants avec nos ponchos et k.way…

Chaque année à Sao Paulo a lieu un carnaval, qui est bien moins important que celui de Rio de Janeiro, mais qui mobilise la ville durant plusieurs jours. Et six mois avant le début des festivités, des répétitions publiques commencent dans les écoles de samba… En tant que guests du festival, le second dimanche après notre arrivée, nous avons la chance d’être invités à la répétition de l’école Vai Vai, la plus célèbre des écoles de Sao Paulo, avec accès VIP au balcon d’où l’on peut avoir une vue d’ensemble sur le spectacle. De 19h à minuit, les danseurs et danseuses se maquillent, s’habillent et se placent par groupes d’âge et/ou de sexe dans le cortège. La musique est forte, dansante, les groupes commencent à se mettre en place et un speaker avec ses musiciens, placés sur une estrade, jouent les maîtres de cérémonie. Tout le monde bouge son corps sur place en attendant de commencer à défiler.

Puis le show débute, les différents groupes défilent en faisant une boucle dans l’espace réduit de la ruelle en contrebas. La ferveur et l’énergie sont impressionnantes : une reine du carnaval en costume mène la danse en virtuose, d’autres pratiquent la capoeira, un groupe fait un show de percussions… Impossible de ne pas être contaminés par la transe, et entraînés par une musique que l’on gardera en tête toute la semaine suivante.

Le dimanche est un vrai jour de fête à Sao Paulo, puisque nous avons rencontré deux étudiantes poitevines venues étudier à l’USP un semestre, Camille et Andréa, dans un club de samba, également un dimanche. Les jeunes s’y retrouvent pour danser aussi bien au son des DJ que d’orchestres qui se succèdent en live, et la dose d’alcool dans la caïpirinha n’y est pas tout à fait dosée de la même façon qu’en France, ce que nous avons un peu appris à nos dépens… Mais la fête ne s’arrête pas le dimanche. En rencontrant Camille et Andréa, je ne pouvais pas manquer l’expérience d’une soirée étudiante au Brésil un jeudi soir !

Coup de chance, lors de notre séjour l’une d’entre elles est organisée par la Escola de Communicações e Artes (ECA) où se trouve le département Cinema, Rádio e Televisão (CTR). Elle a lieu en extérieur à côté des bâtiments et je découvre avec surprise qu’il y a de nombreux petits stands ambulants pour acheter de l’alcool, et d’autres pour s’acheter à manger. Ça change des soirées de Poitiers où chacun ramenait son pack de bières et ses chips ! De plus, j’apprends que la semaine suivante ont lieu durant plusieurs jours de grands jeux qui chaque année opposent les étudiants des différentes UFR de l’USP. Si j’ai bien compris, c’est surtout un moyen de faire la fête un peu avant les partiels. La ECA est donnée favorite de ces jeux. Pour le moment, une centaine de personnes dansent et s’amusent, jusqu’à ce que la batucada de la ECA intervienne : les airs qu’elle joue sont connus de tous les étudiants, tous se mettent à chanter en hurlant, au son assourdissant des percussions, et les fumigènes s’allument et plongent tout le monde dans la fumée ! C’est le point culminant de la soirée, avant que ça ne redevienne plus classique, avec un DJ et la foule qui danse autour. Un autre lendemain difficile pour moi le vendredi, mais il faut avoir vu ça une fois dans sa vie : la réputation festive des Brésiliens n’est pas usurpée !

The Faculty

Nous sommes venus à Sao Paulo pour présenter nos films, mais également pour rencontrer professeurs et étudiants de l’USP. Le bilan que Laurence doit faire avec Camille et Andrea au sujet de leur mobilité leur donne aussi l’occasion de nous briefer. Le système d’études au Brésil étant très libre, on peut choisir une bonne partie des cours que l’on veut suivre, y compris sans rapport avec l’orientation professionnelle visée : par exemple, on peut faire des études de médecine, et s’initier au théâtre en option. Les relations entre profs et étudiants sont plus familières, on communique par Facebook mais il y a peu de chances de recevoir une réponse à un mail, et la notion d’horaire est à géométrie variable… Ce que nous allons constater lors de nos visites et rendez-vous au CTR.

L’USP est située dans un vaste campus avec trois entrées gardées. On a l’impression d’être dans une autre ville, d’autant que le système de transports pour y accéder est compliqué. Nous sommes guidés d’abord par Camille, puis par le professeur Rubens Machado, francophone, qui nous présente les locaux du CTR. Je vais de surprise en surprise en découvrant tout le matériel dont ils disposent : deux caméras professionnelles dans un studio sur fond vert, puis le studio sur fond noir, en passant par les ateliers de déco. En remontant d’un étage, on se dirige vers les studios d’enregistrement de son, puis le studio d’enregistrements radiophoniques, sans oublier les salles de montages, accessibles jour et nuit ! La graduação (premier grade de diplôme universitaire brésilien, en 4 ans) est bien plus pratique et professionnalisante que notre licence, et bien plus riche en matériel que notre master. Les murs sont couverts d’affiches de films sur lesquels d’anciens étudiants ont travaillé. Rétrospectivement, cela me fait un peu rêver…

En revanche la post-graduação (à bac + 5) est strictement orientée vers la recherche. Lors d’une réunion organisée à destination des étudiants, nous leur présentons les formations de cinéma de Poitiers, en particulier le Master, et leur donnons des conseils pour organiser une mobilité. L’un d’eux semble sérieusement intéressé et nous échangeons avec lui sur la définition du poste d’assistant réalisateur au Brésil. Peut-être un futur candidat !

Cineman (spectateur à Sao Paulo)

La programmation confirme la francophilie brésilienne. Outre les hommages au cinéma de Paul Vecchiali, d’Agnès Varda, et la diffusion de films récents français, tout un volet est consacré à un autre pays francophone, la Suisse, avec de nombreux cinéastes invités et une rétrospective Alain Tanner. Parmi mes découvertes francophones je recommande L’une chante l’autre pas (1977) un film d’Agnès Varda qui traite du féminisme et des différents combats qui ont été menés dans les années 60 et 70 pour le droit des femmes (l’avortement notamment) à travers une amitié entre deux d’entre elles. Pauline (incarnée par Valérie Mairesse) est chanteuse et beaucoup de messages passent par la chanson. Les paroles sont très claires, voire un peu trop, ce qui rend certaines chansons assez comiques, mais le personnage est aussi touchant dans sa sincérité. Plus de 40 ans plus tard, ce film est malheureusement encore d’actualité et surtout en ce moment #metoo.

Le Café des jules (1988) réalisé par Paul Vecchiali est aussi un film qui est toujours d’actualité, et encore aujourd’hui, très marquant pour le spectateur. L’histoire se passe en huis clos dans un bar un samedi soir avec les quelques habitués. Un inconnu débarque, David, puis Christiane qui était attendue par les habitués. Ça boit beaucoup, ça rigole, ça joue, puis ça termine par le viol de Christiane. Tout se fait progressivement, petit à petit le malaise augmente, pour finir par cette scène violente qui surprend et choque le spectateur. On retrouve les magnifiques travellings dont Paul a le secret notamment celui de la séquence finale, où l’on voit Christiane rentrer chez elle à l’aube.

Enfin je recommande un dernier film français, Félicité, sorti en 2017 et réalisé par Alain Gomis, un cinéaste franco-sénégalais. Le film se déroule au Congo, précisément à Kinshasa, et raconte le combat de Félicité, chanteuse dans un bar de la ville, pour sauver son fils d’une éventuelle amputation de sa jambe suite à un accident de moto. On la suit au travail, chez elle, et dans ses diverses rencontres notamment avec Tabu, un alcoolique, habitué du bar, toujours présent pour l’aider et avec qui elle entretient une relation assez paradoxale, entre attirance et rejet. Mais on la suit aussi dans ses rêves nocturnes qui nous transportent dans une autre dimension. L’ambiance, les décors, les acteurs, la langue (le congolais) et la mise en scène en font un film très singulier, très différent de ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma.

Mais bien entendu, nous n’avons pas vu que des films francophones. Il aurait été dommage d’aller au festival de Sao Paulo sans en profiter pour s’intéresser au cinéma sud- américain. Outre Un cine en concreto (2017), le documentaire de Luz Ruciello déjà évoqué (lien sur le titre), un documentaire chilien de la jeune réalisatrice Lissette Orozco, El pacto de Adriana (2017), m’a beaucoup marqué. Il met en scène Lissette elle-même qui nous parle de son enfance, et surtout de sa tante, Adriana Rivas, expatriée depuis plusieurs années en Australie, et qu’elle ne voit qu’une fois par an. Lorsque Lissette a 14 ans, alors qu’Adriana arrive à l’aéroport pour rejoindre sa famille, elle est arrêtée par la police. Lissette apprend alors que sa tante a longuement travaillé pour la DINA (Dirección de inteligencia nacional) autrement dit au service des renseignements sous la dictature de Pinochet. Adriana est accusée d’avoir torturé de nombreuses personnes durant cette période. Elle s’expatrie définitivement en Australie et clame son innocence. Devenue adulte, Lissette reste proche de sa tante, et lui parle beaucoup sur Skype. Elle décide de mener sa propre enquête à travers des témoignages d’anciens collègues afin de prouver son innocence. Petit à petit, elle est obligée de remettre en question le discours de sa tante et ses propres convictions. La question du point de vue est traitée par le film d’une façon très intéressante, et si vous avez l’occasion de le, foncez-y ! C’est mon coup de cœur du festival, et j’ai été très satisfait qu’il remporte le prix du jury et le prix du meilleur premier film.

Enfin, en bonus, je ne peux pas oublier notre découverte d’un film brésilien d’Allan Fiterman, sorti en 2017, qui s’appelle Berenice procura. Le film se déroule à Rio et suit une enquête autour du meurtre d’un transsexuel (il n’est pas rare d’en croiser au Brésil !), star d’un spectacle de cabaret. La projection à laquelle nous avons assisté était une avant-première, en présence des comédiens et du réalisateur ainsi que de plusieurs médias. En bref, notre soirée la plus strass et paillettes. Première surprise : contrairement à ce que le programme annonçait, le film débute… sans sous-titres anglais ! Coincés au milieu de la salle pleine avec le réalisateur et les comédiens, nous nous résignons à passer 1h30 à ne rien comprendre. Mais le scénario est si lourd et explicite que nous faisons en fait des progrès instantanés en portugais ! Le film est une sorte de télénovela, un sommet de kitsch et de mauvais goût, et je devine vite que l’actrice principale qui est dans la salle en robe de soirée est plutôt l’équivalent d’Ingrid Chauvin que de Catherine Deneuve. Au final nous savourons le pur bonheur de spectateur que seuls savent procurer les vrais navets… A égalité avec les deux épisodes de la télénovela de 21h de TV Globo (la plus chic), que nous a conseillée l’un des employés de l’hôtel, O outro lado do paradiso. Des mois après notre retour, il reste difficile de retrouver une vie normale sans savoir ce qui va arriver à Gabriella, que son méchant beau-père va pouvoir faire chanter maintenant qu’il a retrouvé son sac à main à côté du cadavre de son amant d’un soir, qu’elle a poussé par accident en refusant ses avances par-dessus la rembarde de son loft !

Avec Paul Vecchiali, Once More

Je ne pouvais pas terminer cet article sans évoquer les projections de Trois mots en passant et de Revoir La Martine, les deux films de Paul et de Pascal, pour lesquels nous avons fait le déplacement au Brésil. Etant donné leur durée (20 minutes pour le premier et 45 pour le second), le festival a choisi de les présenter en double programme avec un autre film de Paul : Trois mots en passant doit précéder chaque diffusion de Once more et Revoir La Martine celles du Café des Jules. La première diffusion de Trois mots en passant a eu lieu le lundi 23 octobre, au Cinesesc, qui est l’une des plus grandes salles du festival, lors de la journée spéciale qui est le temps fort de la rétrospective dédiée à l’œuvre de Paul Vecchiali. En sa présence, quatre de ses longs-métrages sont projetés : Once more, Femmes femmes, L’étrangleur, et son dernier film, Les 7 déserteurs ; puis un prix en l’honneur de sa carrière lui est remis.

Notre petit court-métrage a l’honneur d’ouvrir le bal de cette journée marathon. Laurence et moi-même nous rendons au cinéma en début d’après-midi, un peu fatigués par notre premier dimanche endiablé (cf. rubrique ci-dessus La fièvre du dimanche et du jeudi soir…). La salle est magnifique et très pleine. Préférant les débats aux discours, Paul passe assez rapidement le micro à Laurence, également montée sur scène pour présenter Trois mots en passant. Elle explique dans quel contexte le film a été réalisé, et profite de la situation pour parler du master. Voir un film sur lequel on a travaillé dans une salle à l’étranger est vraiment une expérience agréable. A fortiori en ouverture d’une journée hommage au cinéaste, et pour avoir été aux côtés de Paul lors de la projection, je sais qu’il aime beaucoup ce film. Le public aussi puisqu’il applaudit spontanément alors même que la lumière n’est pas rallumée, et qu’on enchaîne sur la projection d’un très belle copie remasterisée de Once More. La soirée nous permet de mesurer la cote impressionnante de l’œuvre de Paul au Brésil, où ses derniers films ont fait nettement plus d’entrées qu’en France !

La première projection de Revoir La Martine est plus douloureuse : l’interprète mal informée ne laisse pas Laurence présenter le film, et le projectionniste inverse l’ordre de projection, si bien que Revoir La Martine succède sans interruption au Café des Jules, un film dont la force et la violence n’autorisent pas vraiment ce genre d’enchaînements… Le public décontenancé ne comprend pas, des gens quittent la salle, Paul qui est présent pour débattre de son film après la séance se décompose sur son fauteuil, et Laurence est à l’agonie. Catastrophée, elle se rend ensuite en urgence à 23h à la guest room afin de demander la réorganisation de la seconde séance, prévue le lendemain. Cette fois, tout se déroule dans de bonnes conditions. Même les mangeurs de pop corn bruyants assis à côté de moi au fond de la salle font le silence, et l’un d’eux félicite Laurence qui a à nouveau présenté le projet. Le Master assistant réalisateur est en passe de devenir plus populaire au Brésil qu’en France ! Mon seul regret concernant l’organisation de ce festival est le peu de temps accordé aux débats, surtout lorsqu’il y a des traductions simultanées qui les ralentissent. En outre, bizarrement, le débat concluant la journée d’hommage à Paul n’a pas eu lieu sous la forme d’un vrai dialogue avec le public. La présidente du festival qui l’animait a demandé aux gens d’écrire leurs questions sur des papiers puis les a triés pour les lire elle-même à Paul, complètement frustré du contact avec son public, qu’il adore

To be continued ?

Ce voyage m’a permis de découvrir une autre culture, un autre mode de vie, une autre organisation que je ne connaissais pas, et de rencontrer des Brésiliens qui sont en général très accueillants et très sympathiques envers les étrangers, en comparaison aux Français. Après avoir quitté le master en 2015, je dois dire qu’aller au Brésil représenter un film sur lequel j’avais travaillé deux ans auparavant quand je n’étais qu’un simple étudiant était très inattendu et m’a fait très plaisir. Je n’ai pas du tout l’habitude d’aller représenter un film en tant que régisseur et encore moins d’avoir une place d’invité (mais je m’y suis assez rapidement habitué…). Je ne pensais pas non plus que Trois mots en passant ferait autant de chemin : après Poitiers, Pantin, Turin (lien) et maintenant Sao Paulo ! Ce qui prouve qu’aujourd’hui Trois mots en passant fait partie intégrante de l’oeuvre de Paul Vecchiali et c’est sûrement cela au final qui est le plus gratifiant. Où aura lieu la prochaine diffusion ?

Sao paulo en quelques chiffres :

  • 23h d’avion
  • 11 jours
  • 15 films vus
  • 1 telenovela découverte
  • 2 réalisateurs et 1 chef opérateur rencontrés
  • 1 entretien réalisé
  • 1 restaurant chic
  • 2 visites à l’université
  • 1 rencontre avec les étudiants
  • 2 soirées samba
  • 1 soirée étudiante
  • 27 caïprinhas
  •  1 gueule de bois chacun


Fabien Peyrelade (avec l’aide de Laurence Moinereau)