Les deux co-productions d’AMPAR, Trois mots en passant de Paul Vecchiali et Revoir La Martine de Pascal Catheland, poursuivent leur fulgurante trajectoire de festival en festival… et ont franchi pour la première fois, en juin 2017, les frontières de l’Hexagone, pour être présentées au Lovers Film Festival de Turin. Deux étudiantes du Master, Sophie Ohayon et Lena Scotto Di Perta, s’y sont rendues avec Laurence Moinereau, sa directrice, pour accompagner les films et découvrir leur premier festival en langue étrangère…

Quatrième plus grande ville d’Italie, Turin est un véritable centre culturel où se tiennent chaque année plusieurs festivals de cinéma. Parmi eux, le festival de cinéma LGBT fondé en 1986, dans lequel nous nous rendons. Rebaptisé récemment le Lovers Film Festival, c’est le premier festival de film gay et lesbien créé en Europe.

Après six heures de train, nous arrivons toutes les trois en gare de Turin dans une chaleur étouffante. L’architecture baroque de la ville nous frappe en premier : nous traversons Turin en bus, regardant défiler les monuments, les résidences royales et autres églises. Nous traversons aussi les grandes places du centre ville ainsi que la via Po que nous emprunterons tous les jours à pied pour aller de notre Airbnb au cinéma Massimo où le festival a lieu.

Le lendemain, en attendant la soirée d’ouverture du festival, nous en profitons pour jouer les touristes. Nous prenons le petit train pour atteindre la Basilique de Superga avec une vue imprenable sur la ville. Nous continuons avec une petite balade en forêt puis une marche jusqu’au Parc Valentino.

Nous nous rendons ensuite dans les locaux du festival pour rencontrer les organisateurs et récupérer nos accréditations, persuadées d’être accueillies en V.I.P… La tâche s’avère plus difficile que prévue étant donné notre niveau d’italien quasi nul (pour ne pas dire inexistant) et les confusions que nous faisons entre nos interlocuteurs, tous des hommes dont nous ne connaissons que les prénoms se terminant en « o », répartis dans des bureaux sur plusieurs étages entre lesquels la communication ne semble pas toujours bien fonctionner… Manifestement, personne ne comprend qui nous sommes ni pourquoi nous sommes là, à la grande déception de Laurence, très fière d’avoir surmonté les limites de ses compétences linguistiques dans sa longue correspondance par e-mail en anglais avec ses différents interlocuteurs. Mais notre persévérance est finalement récompensée, lorsque nous parvenons jusqu’à Flavio Armone, responsable de la programmation, qui nous identifie et nous présente à la toute nouvelle directrice du LFF Irene Dionisio. Cette fois, nous y sommes : inside the LFF…

Le soir même, nous assistons à l’ouverture du festival, avec la projection de C’est l’amour de Paul Vecchiali, qui nous séduit à la fois par sa poésie et par le naturel des acteurs.

Le festival se déroule dans les trois salles du cinéma Massimo, qui appartient au Musée national du cinéma italien, situé à deux pas, dans la Mole Antonelliana. Les principaux festivals de cinéma de Turin (Torino Film Festival, CinemAmbiente, LFF, Sottodiciotto) s’y déroulent, et il accueille le reste de l’année une programmation de films d’auteur contemporains et de films du patrimoine. Pourtant, nous découvrons avec surprise des spectateurs peu attentifs, armé de téléphones portables, qui entre deux sms et une sonnerie n’hésitent pas à s’en servir comme lampe de poche pour traverser la salle, entrant et sortant durant toute la séance en passant sans vergogne devant l’écran… Certains films seront difficiles à suivre dans ces conditions, mais il faudra prendre notre mal en patience, car cela semble être la norme ici. Nous remarquons aussi avec un peu de regret la très forte division sexuelle du public : pas d’hommes dans la salle pour les films dont les personnages sont des lesbiennes, et nous serons bien isolées quand nous irons voir Jours de France dont les héros sont des hommes…

Parmi les films sélectionnés au festival cette année, nous avons découvert en particulier deux séries de courts-métrages de différentes nationalités parmi lesquels nous retiendrons Cipka de Renata Gasiorowska (Pologne, 2016), un film d’animation humoristique dans lequel une jeune femme voit son clitoris se dissocier de son corps pour devenir un petit animal incontrôlable ; et Blind Sex de Sarah Santamaria-Mertens (France, 2017) qui raconte la découverte de la sexualité chez une jeune fille aveugle.

Au générique de ce dernier, nous avons aussi le plaisir de lire le nom d’Anaïs Couette, assistante invitée par AMPAR pour une rencontre avec les étudiants trois mois auparavant ! Le monde du cinéma est petit et nous avons donc le sentiment de commencer à y appartenir… D’ailleurs, un spectateur visiblement très ému se précipite à la sortie de la salle pour féliciter Léna pour son rôle dans le film ! Une confusion certes, mais peut-être aussi un signe…

Nous recommandons aussi Millimeterle (Suisse, 2016) de Pascal Reinmann, où l’on suit un groupe de jeunes garçons entrés par effraction dans une piscine la nuit. Entre curiosité sexuelle et jeux dangereux, la magie opère : l’histoire est bien menée et la lumière, magnifiquement maîtrisée, donne un côté à la fois énigmatique et effrayant au film.

Parmi les longs-métrages, Sophie et Laurence s’enthousiasment pour Jours de France de Jérôme Reybaud (France, 2016), qui transforme une application de téléphone portable destinée à localiser des partenaires sexuels disponibles en instrument d’une quête amoureuse. Muni de ce précieux outil, Paul suit à la trace Pierre, son amoureux, qui sillonne les routes de France et multiplie les rencontres, crues, drôles, insolites ou émouvantes, au fil d’un road-movie contemporain poétique et toujours surprenant.

Quant à The Wound de John Trengove, notre coup de cœur du festival, nous y reviendrons un peu plus loin dans cet article pour vous raconter notre rencontre avec son auteur.

Vient enfin le Grand soir : le samedi 17 juin, en l’absence de Paul Vecchiali que sa santé a empêché de répondre à l’invitation du festival, Laurence Moinereau se charge de présenter la projection de Trois mots en Passant et Revoir la Martine, en anglais avec traduction italienne par le programmateur de la séance.  Elle répond également à l’issue de la séance aux questions des spectateurs, hélas bien moins nombreux que nous ne l’aurions rêvé, car il s’avère que le 17 est le jour de… la Gay Pride ! si bien que le public du LFF a déserté les salles. Comble de malchance, notre traducteur un peu embarrassé ne réalise pas tout de suite que les présents comprennent l’anglais et le français, et la discussion s’achève prématurément dans une certaine confusion linguistique, alors que notre spectateur le plus intéressé semblait prêt à la poursuivre. Apprenant après son départ qu’il s’agissait d’un programmateur de la cinémathèque de Turin, Laurence s’étouffe de rage et de désespoir.

Pour nous réconforter, nous allons manger… des pâtes et boire du vin blanc dans un petit restaurant traditionnel piémontais. Nous profitons de la fraîcheur de la nuit pour faire une balade dans la ville et découvrons une ancienne cour de théâtre où a lieu un concert de musique cubaine, avec reprises du groupe Buena Vista Social Club.

Quelle que soit leur nationalité, les films étaient quasiment tous sous-titrés en anglais et nous parvenions à les suivre sans trop de difficultés. Mais ça, c’était avant de faire l’expérience de projection de Pagani, le documentaire d’Elisa Flaminia Inno (Italie, 2016).

Attendant le début de la séance devant le cinéma Massimo, nous assistons à l’arrivée de l’équipe du film qui ne passe pas inaperçue : les acteurs travestis ont revêtu leurs costumes extravagants du film (à moins que ça ne soit leurs tenues de tous les jours) et commencent à chanter et danser avec des musiciens.  Le ton du film est donné et les comédiens entraînent des festivaliers et des passants dans leur danse.

Toujours avant la projection du film, mais cette fois-ci dans la salle, la réalisatrice fait un petit discours avant de laisser place à une nouvelle performance de danse et de musique populaire traditionnelles suivie d’une sorte de sketch, toujours orchestré par les comédiens. Dans le public, tout le monde  rigole… sauf nous qui ne comprenons rien à toute cette agitation.

Le film commence et rien ne s’arrange. En effet, les personnages du film utilisent un dialecte régional italien pour communiquer. De fait, les sous-titres ont été traduits en italien et donc impossible pour nous de décoder la moindre phrase. Par les images néanmoins, nous comprenons l’idée générale du film qui consiste à défendre la  survivance des rituels en Italie. Chaque année, pendant la période de Pâques, les habitants de Pagani, une petite ville située dans la province de Salerne, célèbrent la Madonna delle Galline  (la Sainte Vierge des Poules), un ancien rituel hérité en partie du catholicisme et en partie d’autres croyances païennes. C’est aussi un moment de fête pour les habitants : on danse et on chante dans les rues. Dans ce rituel, de façon surprenante, un rôle essentiel est joué par des hommes travestis en femmes, les femminielli, qui dirigent chants et danses, et mettent en scène, comme une sorte d’exorcisme,  un accouchement menant à la naissance d’un poupon noir au pénis géant…

Nous plongeons donc en immersion totale dans ce rituel qui nous est complétement étranger et nous gêne à moitié. Finalement, même en ayant la traduction sous les yeux, nous n’aurions peut-être pas mieux saisi l’histoire : le film se veut témoin d’un événement et ne cherche pas à expliquer au spectateur le pourquoi du comment, se dispensant ainsi de toutes explications.

Nous profitons aussi de Turin pour visiter le Musée national du cinéma installé dans le célèbre monument et symbole de la ville : la Mole Antonelliana, un dôme en maçonnerie de 167,5 mètres de haut. Si Turin est aujourd’hui considéré comme le berceau du cinéma en Italie, il le doit en partie à sa proximité avec la France et notamment avec la ville de Lyon, QG des Frères Lumière. C’est l’une des premières villes d’Italie où l’on a tourné et diffusé des films.

Le musée offre au rez-de-chaussée une magnifique collection de machines retraçant l’histoire du pré-cinéma : du Diorama au Kinétoscope en passant par des projections de lanternes magiques, des fantasmagories de Robertson, des pantomimes lumineuses de Charles-Emile Raynaud ou des zoopraxographies de Muybridge, on redécouvre toute la magie de l’invention du mouvement. Sur les cinq autres étages de déroulent des salles d’exposition hétéroclites, qui mettent en scène différents genres de cinéma et exposent affiches, objets et décors reconstitués, et que l’on parcourt par un escalier en spirale qui longe la structure intérieure du Mole. Au centre, l’espace est traversé par un ascenseur aux parois transparentes qui permet d’atteindre la terrasse panoramique, d’où l’on peut contempler la ville. Dans la salle principale, allongés dans des fauteuils propices à la sieste, on peut visionner des extraits de films illustrant le thème de l’exposition temporaire consacrée lors de notre venue… aux animaux stars.

Le festival est aussi l’occasion pour nous de rencontrer des réalisateurs. Et nous avons choisi de solliciter pour une interview filmée le jeune réalisateur sud-africain John Trengove, qui venait présenter son premier et très beau long-métrage The Wound, en français Les Initiés (2017). C’est la veille de l’interview et la veille de notre départ que nous découvrons le film. Celui-ci raconte un rituel d’initiation bien connu en Afrique du Sud, l’Ukwaluka, pratiqué par l’ethnie Xhosa, qui marque le passage d’un jeune garçon à l’âge adulte.  A travers le personnage de Xolani, un initiateur chargé de faire de ces adolescents des hommes, nous découvrons ce rituel commençant par une circoncision sans anesthésie et sans assistance médicale. Un jeune initié, Kwanda, ne tardera pas à découvrir le secret de son initiateur : chaque année, pendant cette période d’initiation, Xolani retrouve son amant, un autre initiateur…

Si le film porte un regard critique sur ce rituel ancestral qui fait chaque année des centaines de morts, l’accent est davantage mis sur l’intolérance des hommes face à l’homosexualité et les violences qu’elle génère. Le film interroge sur ce que signifie « être un homme ».

Après la projection, nous regagnons notre appartement pour préparer l’entretien avec John Trengove, ne sachant toujours pas s’il aura lieu. En effet, après de longues tractations pour obtenir une rencontre, nous venons d’apprendre que le réalisateur vient de rater son avion et que son agenda bousculé ne lui laissera que très peu de temps le lendemain, sans doute pendant la projection de son film qui a lieu à 14 heures… soit deux heures avant le départ de notre train !

Mais au terme du suspense et de notre séjour, nous finissons par bénéficier d’un vrai traitement V.I.P par les organisateurs du festival : une salle nous est réservée pour l’interview dans les bureaux, non loin du cinéma Massimo où Trengove présente son film, le programmateur qui l’accompagne se transforme en garde du corps et nous l’amène sans perdre une minute dès la fin de sa présentation, et lorsqu’il entre dans la salle il est escorté de deux interprètes mis à notre disposition par le festival !

Interprètes auxquels nous n’aurons pas recours, tant son anglais est clair. Notre seconde source de fierté est de constater que nos questions l’intéressent. Le sujet du film a orienté systématiquement les journalistes vers des questions sociétales et politiques. Nous l’interrogeons aussi sur ses choix esthétiques et bien sûr sur ses méthodes de travail, ses relations avec son équipe et son assistant. A la fin de l’interview, Laurence Moinereau finit aussi par lui poser la question inévitable : « Est-ce que vous seriez prêt à prendre un étudiant du Master en stage sur un prochain tournage? ».

Et c’est donc avec sa précieuse adresse mail, notée très scrupuleusement sur nos carnets, que nous sautons dans un taxi en direction de la gare. Nous en profitons pour contempler la ville une dernière fois, en rêvant à d’autres horizons exotiques… Quant aux courts-métrages Trois mots en passant et Revoir la Martine, ils continuent leur périple et traverseront bientôt l’Atlantique pour atterrir à Sao Paulo.

Notre voyage en bref :

– 6 jours à raser les murs pour éviter la chaleur

– 6 jours de pâtes et de pizza… Ah ! La cuisine piémontaise…

– 6 jours à parler l’espanglais dans l’espoir de se faire comprendre (d’où les pâtes toute la semaine…)

– 6 jours à chercher, en vain, des glaces à l’italienne (un mythe ?!)

– 8 séances de cinéma et 8 séances ponctuées de sonnerie de téléphone et d’allers et venues de festivaliers pendant le film (oui, c’est comme ça à Turin !)

– 1 projection des productions d’AMPAR en Italie

– 1 réalisateur interviewé… et un ticket pour un stage en Afrique du sud ?

Pour retrouver la programmation complète du festival ici

Retrouvez prochainement l’entretien de John Trengove sur le site d’AMPAR !

Par Sophie Ohayon et Léna Scotto Di Perta