Le scénario c’est un pré-texte. Le texte, c’est le film.

Par sa générosité exceptionnelle, son charisme, sa cinéphilie passionnelle, Paul Vecchiali a marqué de son empreinte l’histoire de l’AMPAR. Nous sommes heureux de lui rendre hommage en publiant cette retranscription de notre longue rencontre avec lui en 2016. Nous signalons à d’éventuels chercheurs et amateurs que nous avons essayé de réunir la quasi totalité de sa filmographie, et de constituer une bibliographie très complète (datant de 2019).

Courant 2014, Poitiers….

Les étudiants de la promotion 2013-2015 du master se lancent dans un projet d’envergure qui donne suite à celui réalisé avec Aurélia Georges. Le principe est le suivant : contacter un réalisateur afin que celui-ci écrive un court-métrage et le tourne avec les étudiants, le tout encadré par une production indépendante et alternative représentée par l’AMPAR. En parallèle, les membres de l’association engagés sur le projet travaillent l’œuvre du cinéaste et se nourrissent du processus créatif de ce dernier durant la préparation du tournage.

Cette année-là, Paul Vecchiali est contacté, le projet lui est proposé. Il écrit alors le scénario de Trois mots en passant inspiré de la nouvelle La Martine, de Guy de Maupassant. Le tournage aura lieu en 2015.

En 2016, à l’occasion de la projection de Trois mots en passant au TAP-Castille, Paul Vecchiali est revenu à Poitiers pour participer à une soirée débat. Les étudiants et Laurence Moinereau, leur directrice de formation, profitent de cette occasion afin d’organiser une rencontre avec le réalisateur qui est venu accompagné de son compagnon et régisseur Malik Saad et de son chef opérateur Philippe Bottiglione. Cette rencontre est filmée par des étudiants.

Les étudiants présents lors de cet échange sont : Mathilde Barbier (M1), Florence Berger (M2), Gaëtan Bigerelle (M1), Alicia Cadot (M1), Maëlle Cadu (M2), Baptiste Desroches Daudel (M1), Adeline Le Boisselier (M1), Antoine Marc (M2), Arthur Prolongeau (M2), Leslie Raynaud (M1), Estelle Rocchitelli (M1), Lea Vandesteene (M1), Jordan Witz (M2).

Courant 2020, Poitiers….

Six années se sont écoulées et la rencontre filmée est restée sur un disque dur. La mauvaise qualité de la vidéo a rendu sa publication impossible.

Lors d’un travail de recherche sur Paul Vecchiali, nous (Tom Gil, Marie Lafont et Hugo Richard, étudiants de la promotion 2018-2020) reprenons les rushes, et décidons d’en tirer un entretien écrit pour le site de l’AMPAR.

Après un travail de transcription, de sélection et de synthèse, voici les propos, inédits pour certains, qui ressortent de cet entretien de 3h30 avec le franc-tireur du cinéma français, alias Paul Vecchiali. Afin de conserver le caractère spontané, et parfois digressif, de la conversation à bâtons rompus menée avec les étudiants, nous avons fait le choix de respecter au maximum le déroulé de celle-ci ainsi que son caractère oral.

La mise en scène

Etudiants

Comment est-ce que vous définiriez le travail d’un metteur en scène ?

Paul Vecchiali

Il me semble que le travail d’un metteur en scène c’est de faire la synthèse des apports de certaines sensibilités par rapport à un texte. J’ai l’habitude de faire le jeu de mot : le scénario c’est un pré-texte. Le texte, c’est le film. Alors tout ce qui est pré-texte, ça n’a pas beaucoup d’importance, l’important c’est quand on dit moteur, là le film commence. Et quand le film commence, le décor est prêt, la musique est déjà là, l’image on en a déjà parlé, enfin avec Botti on ne se parle presque plus, si ?

Philippe Bottiglione

Si on se parle, mais… c’est fluide, c’est très fluide.

Paul Vecchiali

Avant, quand je travaillais avec Georges Strouvé, qui a quand même fait presque tous mes films avant Botti, et Antoine Bonfanti, quand j’étais au milieu du scénario j’invitais presque toute l’équipe technique à diner et je leur parlais un peu de l’histoire, de l’ambiance et tout ça. Ce qui fait que quand on arrivait au premier jour de tournage on était presque sur la même ligne. J’avais juste un petit peu d’avance. C’est vraiment formidable parce qu’il y a une cohésion qui se met en place, cohésion qu’on retrouve maintenant avec la nouvelle équipe. Je pense que le vrai travail d’équipe se fait en amont. Si le travail est fait en amont et qu’il est bien fait, le tournage va tout seul. Par exemple, les deux derniers films qu’on a faits, on était à 11 minutes utiles par jour sans jamais dépasser.

Philippe Bottiglione

On peut tout de même se permettre d’évoluer ou d’improviser mais c’est très organisé, c’est très bien préparé.

Paul Vecchiali

Après, lorsque cela concerne l’image la parole est à lui. Je lui propose le plan de travail de la journée, je lui montre les décors et il me dit « Cette séquence-là faut la tourner à telle heure à tel endroit. Tu as choisi cet endroit faut la tourner à telle heure. » Moi je dis « Oui monsieur ».

Quand on a tourné Once more sur la plage à Trouville, on a fait beaucoup de prises. Je me rappelle un plan séquence que l’on n’arrivait pas à faire rentrer dans la bobine. Alors Georges me dit « Là il en reste une mais ça va être la plus belle. » Je briefe les comédiens, je leur dis d’accélérer un peu. Je sens qu’ils ont le bon rythme, qu’on va rentrer dans la bobine, et tout à coup je vois un chien qui arrive vers une des comédiennes, je me précipite et puis il y a quelqu’un qui me prend par la peau du dos, qui me tire en arrière. Ce n’était pas un chien, c‘était la bonnette du micro… J’ai pas vu le reste du plan mais j’ai quand même entendu la dernière phrase de la séquence « Alain je te présente mon père » [Il imite le bruit d’une bobine] Et effectivement c’était la plus belle lumière.

Le numérique

Etudiants

Que pensez-vous des réalisateurs qui tournent encore en pellicule aujourd’hui ?

Paul Vecchiali

Quel est l’intérêt de tourner en 35mm ? L’appareil photo c’est formidable. Botti m’a convaincu, moi je ne retournerai plus qu’en 5d c’est sûr, ou à l’iPhone.

Philippe Bottiglione

L’argentique, quand même, c’est un support dont la palette est beaucoup plus riche qu’un capteur. Quoi qu’il arrive tu as une palette plus grande.

Paul Vecchiali

En tout cas c’est à cause de toi que je travaille avec un iPhone et un 5d et je t’en remercie, je sens que c’est mon truc, que c’est pour moi.

Philippe Bottiglione

Il y a plus de liberté c’est sûr. C’est moins lourd.

Paul Vecchiali

Déjà la voiture est moins chargée. Et ça coûte moins cher. Ça coûte 10 fois moins cher. C’est avec un iPhone que j’ai filmé les scènes de jour de Nuits blanches sur la jetée.

Philippe Bottiglione

Et Faux Accords aussi.

Paul Vecchiali

Faux Accords on a fait les deux. Un peu de 5d aussi… C’est l’amour il est en 5d, seul.

Philippe Bottiglione

En fait, la problématique entre l’argentique et le numérique c’est la faculté d’encaisser les écarts de contraste. Donc si on est de nuit, par exemple Nuits blanche sur la jetée, on n’a pas de problématique si on tourne en numérique, puisqu’on va gérer cet écart de contraste, il suffit de très peu pour donner du modelé et avoir une image épanouie. En revanche si on tourne de jour et qu’il y a un soleil qui tape et qu’il y a des parties à l’ombre, là c’est une problématique et là l’argentique est supérieur au numérique. En fait il faut plus ré-éclairer en numérique de jour qu’en 35. En 35 on a un réflecteur, il faut moins de choses pour ré-éclairer, pour compenser justement ces écarts de contraste alors qu’en numérique, étonnamment, on aura plus besoin de ramener de la lumière de jour, ou alors une grande surface de réflexion, en argentique il y a une palette plus grande.

Paul Vecchiali

Faux Accords est tourné en grosse, grosse partie à l’iPhone. Il y a un plan sur la mer avec mon personnage qui avance vers la mer, et Botti me suit en caméra portée. C’est tourné à l’iPhone, c’est magnifique. Peut-être que le reste c’est de la merde mais ce plan-là il est superbe. Il est vachement fort, pas seulement fort en lui-même mais dans le contexte du film. Dans ce que le film raconte. Ça n’aurait pas été possible en 35mm, on se serait fait 25 mètres de rails.

Philippe Bottiglione

Il faut s’adapter je pense. Le matériel devient de plus en plus compact, de plus en plus accessible. Les caméras ce n’est plus très très cher. En revanche, il faut avoir les bonnes idées.

Paul Vecchiali

Et la 3D.

Philippe Bottiglione

Ah oui la 3D oui c’est lourd aussi mais c’est bien.

Etudiants

Qu’est-ce que vous pensez de la 3D ?

Paul Vecchiali

C’est le relief. J’ai vu le film de Godard [Adieu au langage], j’ai adoré.

 

Ni Dieu ni maître ?

Laurence Moinereau

Est-ce que tu peux raconter ta rencontre avec Godard et ce qu’il représente pour toi ?

Paul Vecchiali

Ben moi si j’ai fait du cinéma c’est un peu grâce à Godard. Je suis rentré de la guerre d’Algérie, je suis allé voir A bout de souffle… J’en revenais pas, et je me suis dit « si c’est comme ça on peut y aller ». Après j’ai vu Lola ça ne s’est pas arrangé… Et après j’ai fait mon premier film.

La toute première rencontre, je venais d’écrire sur Les carabiniers dans les Cahiers du Cinéma et je suis allé voir un film dans une salle qui se trouvait au fond d’un couloir aux Champs Elysées, j’étais au balcon, à la fin du film je sors et je vois Godard en bas. J’avais la trouille de lui parler, je venais d’écrire sur son film et je ne savais pas si ça lui avait plu, c’est quelqu’un que j’idolâtre. Je reste comme ça un bon moment, les gens défilent, je me dis maintenant il n’y a plus personne, je me tourne, il n’y avait plus personne sauf Godard. Je descends l’escalier, il me tend la main, me dit « Bonjour », je lui réponds « Bonjour ». On fait toute la galerie sans dire un mot, on arrive sur les Champs, il me sourit et me dit « Au revoir », je dis « Au revoir ».  C’était ma première rencontre avec Godard !

Et après ça a été des rencontres plutôt téléphoniques, il a vraiment adoré certains de mes films, trois surtout, En haut des marches, Once more et A vot’ bon cœur. A vot’ bon cœur, il a envoyé son équipe voir trois fois le film. Ce sont des rapports comme ça, un peu distendus, ce n’est pas systématique. Godard il a cette immense qualité d’être à la fois un cérébral et un naïf. Ce qui n’est pas le cas de Rivette, par exemple, qui est essentiellement un cérébral. Donc pour arriver à marier les deux, il faut être dans une certaine disposition d’esprit par rapport au sujet qu’il traite. J’aime tous les films de Godard sauf deux, Prénom Carmen et Made in USA, mais je pense que c’est moi qui ai tort, je n’ai sans doute pas la disposition qu’il faut pour les voir convenablement. Autant Pierrot le fou c’est facile, autant A bout de souffle c’est facile, mais pour Prénom Carmen et pour Made in USA, je ne sais pas pourquoi, ça ne fonctionne pas. J’ai peur de les revoir, mais un jour je vais m’y mettre.

Etudiants

Maintenant que vous avez une longue carrière, qu’est-ce que ça vous fait si de jeunes cinéastes viennent vers vous et vous disent que votre cinéma les a nourris, les a aidés ? Maintenant que vous êtes dans cette position de maître pour des jeunes cinéastes qu’est-ce que ça fait à part plaisir ?

Paul Vecchiali

La plupart du temps des gens viennent me voir pour savoir comment il faut faire. Et je leur réponds « Faites ! ». Parce que y’a pas d’autres solutions. Il faut être innocent pour faire du cinéma. Quand j’ai démarré avec Les Petits Drames, je ne savais rien de rien. Je n’avais fait aucune école de cinéma. En revanche j’avais vu des milliers de films.

Philippe Bottiglione

C’est ça, il faut voir des films.

Paul Vecchiali

Oui il faut voir des films, beaucoup. On s’imprègne des montages et tout ça. J’ai écrit mon scénario, je me suis assis à table, et je me suis demandé « Que faut-il faire pour faire ce plan ? ». J’ai pris des notes, j’ai fait le dépouillement, sans le savoir. Après j’ai dit « Que doit-on tourner le premier jour ? ». J’ai fait un plan de travail, sans le savoir, j’ai fait un budget, sans le savoir, etc…

Et quand j’ai tourné mon film on a fait 1h30 en 13 jours, ce n’est quand même pas mal. Avec Nicole Courcel, Michel Piccoli, il y avait quand même des pointures. On a tourné 25 plans en une après-midi au jardin Kahn…

Je me souviens très bien que le premier soir du tournage Nicole Courcel est partie se démaquiller, j’y suis allé pour lui dire bonsoir et je me suis arrêté parce qu’elle parlait à quelqu’un et je l’ai entendue dire « On dirait qu’il a fait 50 films ». Le film n’était pas très réussi, mais il y avait des plans qui étaient très beaux, la preuve Jean Rouch m’en a piqué un, en me demandant l’autorisation. Ça c’est un peu ma fierté… C’est un plan où il y a Nicole Courcel, elle était dans l’ascenseur, son amant sortait de l’appartement avec un cadavre sur le dos, il déposait le cadavre dans l’ascenseur, il allait monter, elle le repousse et elle lui dit « On ne peut pas monter à trois ». Elle ferme la porte, la caméra se met à la place de Nicole Courcel, descend les trois étages en suivant le mec. Puis en arrivant en bas il ouvre la porte de l’ascenseur, il se penche, c’est en contrechamp, il prend le cadavre le charge sur son dos, il sort dans la rue, il fait tout le trottoir, il arrive dans un terrain vague, il pose le cadavre dans le terrain vague. Je crois que dans Gare du Nord il y a un peu ce genre de plan avec l’ascenseur, mais pas le même. Donc il y a des choses dans Les Petits Drames qui sont assez réussies, qui sont assez gonflées et puis y’en a d’autres qui sont nazes.

La prise

Etudiants

Pour le tournage de votre film Once More, vous avez fait plusieurs prises sur la plage, alors que dans vos dernières œuvres on dirait que vous en faites beaucoup moins, même quand ce sont des plans séquences. En général avez-vous fait beaucoup de prises sur Once More ?

Paul Vecchiali

Il y a juste une contrainte technique, si ça ne rentre pas dans la bobine faut la refaire. Sinon non… Le mariage, par exemple, on devait finir à 18h et on a fini à 14h. La figuration est venue en bus et on leur faisait répéter le playback dans le bus. Le temps qu’ils arrivent j’avais travaillé avec Georges Strouvé pour mettre en place la grue parce que c’était un plan compliqué et je pensais que ça allait durer quatre heures mais au bout d’une demi-heure il me dit « Paul je suis prêt ». On a fait trois prises et c’est la première qui a été montée. Mais quand on est à l’extérieur de Paris, il faut faire au moins deux prises, pour les assurances.

Etudiants

Pourquoi ?

Paul Vecchiali

En cas de pépin, ils n’acceptent pas qu’on fasse une prise unique. Là je ne me suis pas couvert. Mais quand j’ai tourné à Toulon on était obligés de faire deux/trois prises, souvent c’est la première qui était montée mais on est obligés pour les assurances.

Etudiants

Quand sentez-vous que la prise est bonne ? Une amie qui était sur l’un de vos tournages nous a confié que parfois elle vous voyait très ému et c’est ce qui disait que la prise était bonne. Y a-t-il autre chose ?

Paul Vecchiali

J’ai une théorie, qui vaut ce qu’elle vaut mais… je pense que le comédien a préparé, il a appris son texte, et quand il tourne il est sous influence. C’est-à-dire qu’il rentre dans le personnage presque au pifomètre. Il y met toutes ses tripes. Et à partir de la deuxième prise il commence à réfléchir sur ce qu’il a fait et il commence à faire ce que je hais, de la psychologie « Oui mais le personnage là… ». Donc les 3/4 du temps, même plus souvent, c’est la première prise qui est montée. Sauf s’il y a un pépin technique.

Pour Nuits blanches sur la jetée, trois mois avant ils ont appris leur texte et je leur ai dit de ne surtout pas le jouer. Ils sont allés répéter et en arrivant ils ont dit leur texte, ils le savaient à 95 %, ce qui est quand même vraiment formidable. On s’est assis et on a fait un travail sur la cadence « Là tu prends une pause, là tu vas plus vite… ». C’est comme une portée musicale avec les soupirs, les silences…  Ils ont noté tout ça et jour après jour ils réapprenaient leur texte en fonction de ces indications.

Je pense que la direction d’acteur, à 80 % c’est le choix de l’acteur, de l’actrice. Après il faut faire travailler la gestuelle, les déplacements et la cadence, c’est tout. Auparavant on fait une réunion avec tous les comédiens, on fait une lecture à plat et j’ai l’habitude de dire que les paroles et les dialogues c’est comme les costumes : ça va ou ça ne va pas. Quand on sent qu’un un comédien est réticent, on lui demande s’il veut changer quelque chose. Alors il suggère quelque chose, ou il ne suggère rien, on corrige, on ne corrige pas, voilà. Si vraiment le dialogue est fait pour exprimer une pensée, une situation, il n’y a pas besoin de psychologie. Et s’ils ne sont pas là, c’est raté, et la psychologie n’apportera rien de plus. Donc chez moi, la psychologie est interdite.

Les acteurs

 

Etudiants

Dans vos œuvres on voit qu’il y a une grande fidélité aux comédiens, aux techniciens aussi, et il y en a deux qui nous ont particulièrement marqués : Patrick Raynal et Jean-Christophe Bouvet. Comment les avez-vous rencontrés ?

Paul Vecchiali

Tu me fais plaisir pour Patrick Raynal, il se trouve que c’était le mari de Dominique Constanza avec qui j’avais fait La Parisienne d’Henry Becque. Elle m’a présenté son mari qui m’a dit gentiment « J’aimerais beaucoup tourner avec vous ». Et on a fait Once More, Le café des Jules et on a fait une série télévisée, Les jurés de l’ombre. Mais c’est sur Once More que j’ai craqué pour lui. Bouvet c’était le hasard, je l’ai rencontré avec un ami qu’il accompagnait. Tout de suite j’ai vu un personnage complètement fou et déluré qui me dit « Moi, mon propos dans la vie c’est de détourner les adultes ». Ça m’a fait hurler de rire et puis on a commencé à parler cinéma et au bout d’un quart d’heure il me dit « Alors quand est-ce qu’on tourne ? ». C’était en 1974 et après il a fait La Machine.

Etudiants

On a l’impression que c’est l’un de vos acteurs que vous avez poussé le plus loin dans des personnages parfois très subversifs, il vous a toujours suivi là-dedans ?

Paul Vecchiali

Il m’a précédé. Je veux dire que c’est lui qui induit les personnages comme ça.

Etudiants

Vous avez tourné pas mal avec Pascal Cervo. Est-ce que vous l’avez découvert chez Achard ?

Paul Vecchiali

Oui je l’ai découvert chez Achard. Dans un film où je ne l’aimais pas : Le dernier des fous. J’aimais le film mais lui je l’aimais pas trop. Je trouvais qu’il en faisait trop, qu’il n’était pas doué pour la colère. Et puis il est venu voir Retour à Mayerling, le dernier de la pentalogie. Il a moyennement aimé le film d’ailleurs. Mais on s’est parlé beaucoup et j’ai trouvé qu’il parlait bien. Et après j’ai vu Dernière séance et alors là… Mais j’ai quand même voulu le tester et j’ai fait Faux Accords avec lui. Et je l’ai trouvé génial. Maintenant je ne veux plus faire de films sans lui.

Etudiants

Pour C’est l’amour vous vouliez avoir Vanessa Paradis n’est-ce pas ?

Paul Vecchiali

Non, mais je rêve de tourner avec Vanessa Paradis. Je trouve que c’est la seule vraie comédienne en France. Attention la seule vraie dans les stars, Astrid Adverbe c’est une comédienne formidable, mais ce n’est pas une star.

Laurence Moinereau

Et Deneuve ?

Paul Vecchiali

Parler de stars en parlant de Catherine Deneuve, c’est enfoncer des portes ouvertes. Catherine elle a un culot en ce moment, elle n’a jamais été aussi formidable… Il faut la voir dans Dans la cour. Ce qu’elle fait est faramineux. Elle prend des risques, c’est très bien. Mais est-ce qu’aujourd’hui encore le mot star a un sens ? C’est ça que je veux dire.  S’il avait un sens, pour moi, ce serait Vanessa Paradis. Parce qu’elle est à la fois hyper belle et qu’elle a un sens de l’autodérision comme personne n’a, elle a une gestuelle d’une grâce infinie… Bon voilà, c’est l’actrice avec laquelle j’aimerais beaucoup tourner même si je sais que je ne tournerai jamais avec elle.

En revanche, je l’ai croisée avant qu’elle fasse du cinéma. Elle venait de sortir Joe le taxi et moi je faisais En cas de bonheur, la série, à la SFP. Et elle était là certainement pour faire un truc à la télé. Je vais la voir et je lui dis « Vous savez, vous devriez faire du cinéma », elle me dit « Oui, évidemment, j’y songe mais je ne sais pas ». Et puis elle me demande « Vous me verriez dans quoi ? », et je vous jure, je raconte Noce blanche. En gros je lui dis « Je vous vois bien en étudiante vampant le professeur ». Il est certain que Brisseau n’a pas pu avoir vent de cette histoire. Peut-être qu’elle induisait un personnage de ce genre. Enfin, elle est belle à mourir.

Elle arrive pratiquement à sauver les mauvais films. Ce qu’elle fait dans Elisa par exemple. La grande intelligence de Depardieu quand il a vu ce qu’il avait en face de lui, c’est qu’il a passé la marche arrière, sinon elle l’aurait étouffé complètement. Je me souviens de la scène où elle traverse une espèce de fête, la tête un peu relevée. C’est fou ce qu’elle fait ! Même dans La fille sur le pont qui est un très mauvais film, elle arrive presque à sauver le film. Tellement elle est présente, intelligente, et je répète, une chose qui est extrêmement rare chez les actrices françaises, c’est le sens de l’autodérision. Ça elle l’a en elle.

Etudiants

Vous parlez toujours de cinéma et d’acteurs français, est-ce qu’il y a des acteurs étrangers que vous appréciez ?

Paul Vecchiali

J’ai une passion pour le cinéma français, c’est clair, ça se sait. Mais j’adore le cinéma américain, je suis fou d’un certain cinéma japonais, j’aime beaucoup des cinéastes italiens, il y a des choses formidables dans le cinéma espagnol maintenant. Je ne parle pas d’Almodovar, mais d’autres, des cinéastes comme Carlos Monzon qui a fait Cellule 211 qui est magnifique. Il n’y a que les anglais qui m’emmerdent beaucoup. Les actrices étrangères, il y en a des masses que j’aime, Gene Tierney, Marilyn, Joan Crawford, Ava Gardner, on peut y aller il y en a un paquet. Et puis Rock Hudson, Gary Cooper, qui d’autre…

Philippe Bottiglione

James Stewart ?

Paul Vecchiali

John Wayne évidemment. Non, Stewart je n’aime pas du tout. Il me gave, il fait toujours pareil. Je ne dis pas que c’est un mauvais comédien mais il me gave. J’ai failli demander à Jane Fonda de jouer dans Le cancre, ça s’est terminé par Annie Cordy, ce n’est pas du tout pareil. Non j’aime bien les comédiennes de manière générale. Je trouve qu’il y a davantage d’originalité chez les comédiens français, en tout cas à une époque. Je pense que l’Actors Studio a amené, certes Marlon Brando qui est sublimissime, mais en dehors de ça beaucoup de mal. Parce-que c’est tellement facile à imiter, facile, c’est facile, on a l’impression d’avoir vu le film 25 fois, alors que l’histoire est formidable, les acteurs nous détournent d’elle par des trucs convenus, formatés. Maintenant que le mot est prononcé le cinéma français aussi s’est entièrement formaté.  Il reste 4-5 cinéastes qui sortent du lot pour moi.

Etudiants

En quoi trouvez-vous que le cinéma français d’aujourd’hui est formaté ?

Paul Vecchiali

D’abord parce que l’on ne comprend pas un mot de ce que les gens disent, pour faire vrai. Et puis c’est la caméra devant celui qui parle. On travaille avec deux/trois caméras, champ contre-champ puis on fait le master… Ça ne me convient pas.

Etudiants

Nous avons remarqué dans vos films que vous apparaissez beaucoup devant la caméra, on se demandait pourquoi ?

Paul Vecchiali

C’est un cachet de moins… Non, j’ai commencé à tourner assez jeune dans Le bonheur d’Agnès Varda, j’interprète le frère de Jean-Claude Drouot, conducteur de poids lourds. Quand Agnès m’a dirigé je ne comprenais pas ce qu’elle me demandait, enfin je comprenais ce qu’elle me demandait mais je ne comprenais pas pourquoi. Donc je faisais très mal, mais je crois qu’elle aimait beaucoup mes yeux alors elle faisait un gros plan et me disait « Tu baisses les yeux et tu les relève lentement, lentement, lentement ». Je cherchais ma motivation par rapport à la scène, je ne la trouvais pas. Après il s’est trouvé qu’un acteur n’est pas venu sur Les ruses du diable, donc je l’ai remplacé, j’avais d’ailleurs un costume deux fois trop grand pour moi. Dans Corps à coeur l’acteur n’est pas venu, je l’ai remplacé aussi. Ne parlons pas de Trous de mémoire parce que c’était de l’improvisation avec Françoise Lebrun donc c’est normal que j’y joue un rôle, mais dans les films récents, le fait de jouer dans Le cancre où j’ai le rôle principal avec Pascal Cervo, d’être avec les comédiens, ça me fait descendre de mon « piédestal » et on se retrouve dans une chose qui relève du jeu de gamin. Il n’y a plus cette posture classique du directeur d’acteur… Il y a des enfants qui jouent ensemble. Je me sens vraiment à l’aise là-dedans. Après est-ce que je suis bon comédien, ce n’est pas à moi d’en juger.

Le double

Etudiants

Il y a Vecchiali réalisateur et Vecchiali acteur… Dans votre cinéma aussi certains personnages ont des genres de doubles, par exemple, dans Change pas de main il y a Marguerite/Isa, dans C’est la vie, il y Solange/Ginette…

Paul Vecchiali

L’idée du double elle est constante chez moi. Dans Femmes femmes par exemple on peut bien imaginer que c’est la même personne. Il y en a une qui reste à la maison et l’autre qui sort, une moitié du personnage, je veux dire, qui reste à la maison et l’autre qui s’en va.

Ginette/Solange ça vient des Ruses du diable. Solange répond à une annonce en signant Ginette. Donc dans C’est la vie j’ai eu envie de faire un hommage aux Ruses du Diable avec un personnage qui est appelé Ginette et qui préfèrerait s’appeler Solange. De toute façon il est évident pour qui a vu mes films que j’adore jouer avec les mots.

Je crois, vous pouvez me contredire, que mes films, bon ou mauvais, ont une grande densité et j’ai toujours eu envie d’avoir une compensation par rapport à ça, un truc qui décompresse un peu. Donc ça vient naturellement l’idée de jouer avec les mots.

Elle n’est pas de moi mais il y a une célèbre réplique dans Change pas de main, c’est Howard Vernon et Mona Heftre, qui est couchée à côté de lui, nue, le téléphone sonne, il répond et puis elle lui dit « C’était Mado ? » Et Howard Vernon lui répond « Elle-même. », Mona lui demande ce qu’elle voulait « Elle m’aime ». Ça c’est Jean-Claude Piet qui l’a écrit. C’est typiquement le genre de chose que j’adore au cinéma.

Les costumes

Etudiants

Un autre point qui nous semble important aussi dans votre cinéma, ce sont les costumes. On pense notamment aux costumes de Rosa la rose

Paul Vecchiali

Avant les costumes, il a y des couleurs. Rosa la rose, c’est le bleu et le rouge. A partir de là tu nuances, tu déclines. Je dis tu… Je décline. Après il y a aussi le problème du fric qui intervient. C’est-à-dire que quelquefois on obtient un sponsor qui fournit les costumes, et là on est un peu victimes, c’est le cas de Change pas de main. Ils ne sont pas terribles mais du coup ils ne grandissent pas les personnages. Et moi je ne voulais pas dans Change pas de main que les gens soient grandis, je voulais vraiment que ce soient des gens terre-à-terre qui ont des sentiments extrêmes. Donc j’ai fait une marche arrière si tu veux par rapport aux costumes. Mais il faut être honnête, c’est surtout parce que je n’avais pas de ronds pour les costumes qu’ils ont été fournis. Par exemple le manteau de fourrure de Sonia… Il n’est pas terrible… Mais il lui va bien quand même… Ça marche, ça fonctionne. Mais je ne peux pas dire que j’ai maîtrisé les costumes dans ce film. En revanche, Rosa oui. Corps à cœur c’était vraiment très net : c’était le bleu et le mauve, et puis après évidemment le côté fonctionnel.

Etudiants

On se demandait aussi si vous réfléchissiez aux costumes par rapport à l’évolution du personnage. Je pense par exemple aux Ruses du diable où il y a neuf portraits, ou à Once More où la femme du héros se transforme complètement… Cette évolution du costume, comment vous la préparez avant ?

Paul Vecchiali

Pour le cas de Once More, avec une costumière. C’est-à-dire que l’on discute, elle lit le scénario, on parle et puis je lui dis « Moi je voudrais que là il y ait ça… Bon là, à partir de ce moment-là, elle revient en blonde alors qu’elle était en brune. Quand elle revient d’Amérique elle est en blonde et il faut que tu me trouves quelque chose qui s’adapte à ça ». Voilà, c’est un travail. C’est un peu comme je travaille avec un chef opérateur, avec un musicien. Et puis quelquefois, j’ai des idées préconçues, je n’ai pas besoin de costumière. Par exemple dans Corps à cœur, je n’ai pas besoin de costumière. Donc on en parle avec Hélène Surgère. On en parle avec les comédiens, c’est tout. Je n’ai pas d’idées arrêtées. Mais la seule idée c’est que j’ai des couleurs de base sur un film.

Etudiants

Rosa qui est un personnage excentrique porte des couleurs primaires contrairement à Hélène Surgère qui porte des couleurs secondaires, qui sont des mélanges etc… Est-ce que vous pensez encore que c’est votre esprit un peu polytechnicien qui ressort dans ce choix ou pas ?

Paul Vecchiali

Non, mes côtés « mathématiciens », je sais où ils sont : dans la production. Là où les producteurs mettent deux mois à faire un dossier, moi en 48 heures, il est fait. Et dans la comptabilité, c’est pareil, je vais dix fois plus vite que la plupart de mes camarades. Mais Polytechnique m’a aidé sur plusieurs choses, d’abord le recul. Quand tu es obligé d’apprendre deux cents pages en huit jours, tu as la tête qui se gonfle et ça rentre plus facilement. Et il y a des choses qui sont considérées par beaucoup de gens comme difficiles d’accès et qui moi me font rire. C’est plutôt là que ça m’a aidé. C’est ce que je racontais tout à l’heure, j’ai découvert tout seul les mécanismes de la production.

Maître Denver

Laurence Moinereau

Peux-tu nous parler de maître Denver, c’était bien Denver ?

Paul Vecchiali

Il y avait Diagonale et Diagonale traiteur. C’est-à-dire qu’il y avait un département traiteur et un département cinéma/télévision dans la même société. De cette façon, les flux d’argent se compensaient puisque dans le traiteur les factures sont payées tout de suite donc il y a de l’argent qui roule tout le temps. En revanche au cinéma l’argent est plus sporadique, il arrive pour faire un film, c’est unitaire. Ce qui fait que quand on a un retard, par exemple sur l’arrivée de l’argent du cinéma, le traiteur est là pour compenser.

Je me suis alors trouvé à faire quelquefois des factures pour des camarades, pour ne pas nommer Paulo Branco. Un jour, ce dernier me dit « Je ne vais quand même pas payer tes repas à toi qui es producteur comme moi ». Moi qui avais des gens à payer je ne comprenais pas mais il insistait « Non, non, je ne vais pas te payer ». J’ai donc inventé un personnage qui s’appelle maître Denver et qui était « l’avocat » de Diagonale. J’ai donc composé le numéro de Paulo :

  • « Ici maître Denver, je représente la société Diagonale, qu’est-ce que vous comptez faire avec cette facture ? »
  • « Oui mais on s’est parlé avec Paul… »
  • « Il n’est pas question de parler avec Monsieur Vecchiali, vous parlez avec moi, qu’est-ce que vous comptez faire ? »
  • « Et ben je vous envoie un coursier avec le chèque. »

Et ça a servi sept ou huit fois cette affaire-là. Mais le plus beau coup était en lien avec Gaumont. Sur En haut des marches ils m’avaient fait un à valoir de 300 000F, ce qui n’est pas une bricole. Quand le film a été fini, il a beaucoup marché en province mais sur Paris il n’a fait que 9000 entrées. Jean-Pierre Le Pogam, que je connaissais très bien parce qu’il avait été chez Tony Molière, qui avait distribué La Machine, m’appelle alors :

  • « Écoute Paul, on ne va pas te payer, on va passer tes films en séances de cinéma d’auteur, le mardi soir. »
  • « Oui, et les copies ? »
  • « Ben les copies tu les tires. »
  • « Et qui les paye ? »
  • « Ben toi ! »
  • « C’est-à-dire ? Je vais payer pour récupérer l’argent que tu me dois ? »

A ce moment-là je raccroche et fais appel à « Maître Denver ». J’appelle la représentante financière de Gaumont :

  • « Oui bonjour madame, maître Denver, représentant en justice de Diagonale, est-il vrai que la société Gaumont est en faillite ? »
  • « Pardon ! »
  • « En tout cas pas solvable. »
  • « Mais qu’est-ce que vous entendez par là ? »
  • « Voilà, vous devez à la société Diagonale 300 000F d’à valoir entre autres et Mr. Jean-Pierre Le Pogam a dit à Mr. Vecchiali qu’il ne pouvait pas lui donner et qu’il ne devait pas lui donner… »
  • « Vous êtes où en ce moment maître ? »
  • « Je suis chez Diagonale »
  • « Je vous envoie un coursier. »

Boum, 300 000 balles ! Alors, il m’a rapporté beaucoup d’argent Maître Denver mais il ne m’a rien coûté ! Voilà, ça c’était un peu la rigolade… Mais cet exemple là c’est un exemple typique de comment fonctionnait Diagonale, c’est-à-dire avec beaucoup de rigueur, du travail et de l’amusement constant. En particulier, on faisait une fête costumée une fois tous les trois mois, avec tous les techniciens, les comédiens, voilà, c’était ça. Puis après quand le moteur était demandé c’était la rigueur…

 

Assistant et réalisateur

Etudiants

On a vu que vous aviez été assistant réalisateur…

Paul Vecchiali

Oui, mais pas au début de ma carrière. J’ai tout fait à l’envers. J’ai fait un long-métrage, un court-métrage et puis j’ai été assistant. À l’époque, il fallait trois certificats de premier assistant pour avoir une carte de réalisateur. C’est pour ça que j’ai été assistant.

Etudiants

Nous on est dans une formation qui nous forme à l’assistanat à la réalisation, c’est un métier qui est très technique et du coup, ça nous paraît improbable de devenir assistant comme ça.

Paul Vecchiali

Je pense que premier assistant devrait conduire à directeur de production, et non pas à réalisateur. Parce-que ce n’est pas le même métier du tout. C’est un métier de magma, de découpage en petits bouts, etc… Donc ça n’a rien à voir avec un auteur de films. Je pense qu’il faut aller directement à la réalisation si on veut réaliser et ne pas passer par l’assistanat. C’est du temps perdu. En revanche, si l’on veut devenir directeur de production, c’est bien de se renseigner sur comment fonctionne un film. Non, je crois que si vous voulez faire, faites. Les arcanes c’était bien dans le temps. Aujourd’hui personne n’a besoin d’une carte pour tourner. Alors est-ce un bien ou un mal ? Je n’ai jamais pu répondre, parce-que quand on voit n’importe qui faire n’importe quoi sous prétexte que c’est valorisant d’être réalisateur…

Laurence Moinereau

Il y a une mythification du métier.

Paul Vecchiali

Oui et c’est ça l’erreur. Ça, c’est un peu la faute des Cahiers du Cinéma. La politique des auteurs a été nécessaire, mais il fallait la jeter beaucoup plus vite, parce que c’est la déification. Tu ne peux pas parler à certains réalisateurs, que je ne nommerai pas. Tu envoies un mail, parce que moi je suis très comme ça, j’ai envie de faire savoir à quelqu’un que j’ai aimé son film, tu n’as pas de réponse. Parce que c’est la déification. Merde ! Moi je suis un homme, je ne suis pas un dieu. Et je ne peux pas supporter l’idée que l’on est mis sur une espèce de piédestal. Qu’est-ce que ça veut dire enfin ? On fait un métier artistique, c’est vrai, mais moi je respecte un boulanger. On parle de l’intelligence, l’intelligence, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est complètement relatif ! Moi je suis con en face d’un cordonnier et lui doit être complètement con en face de moi, cinéaste. Parce que l’intelligence elle est limitée à des spécialités ou alors je me trompe peut-être sur le mot intelligence. En tout cas ce que je déteste c’est se prendre pour un « je ne sais quoi », un maître, un dieu.

La critique

Etudiants

En parlant des Cahiers du Cinéma, comment est-ce que vous rédigiez une critique de film ?

Paul Vecchiali

Il m’arrive de voir un film 10 fois. Une vision d’un film ça ne suffit pas. Quand je l’aime énormément ça arrive jusqu’à 400. J’ai vu 400 fois Madame de, 300 fois Pickpocket… On ne peut pas parler d’un film après une première vision. Je me souviens avec Jean-Claude Guiguet quand on était critiques ensemble à Cannes, il se trouvait qu’on avait deux chambres côte à côte donc le matin on se parlait en se rasant par la fenêtre ouverte. Et très souvent on se disait « Revois ce que t’as écrit, ce n’est pas possible, ce n’est pas argumenté. ». Quand je faisais un papier sur un film, je le voyais au moins trois fois. Quand est face à un film, on a quelque chose qui nous prend aux tripes ou qui ne nous prend pas, qui nous rebute etc… Dès qu’on le revoit, on passe à la pensée.

Par ailleurs la grande différence entre une toile, un tableau ou un film c’est que la toile est une synthèse, et le film ce n’est une synthèse que quand vous avez fini de le voir. Or il est évident que quand on est spectateur on a des réflexes analytiques spontanés qu’il faudrait ne pas enregistrer. L’analyse elle ne peut venir qu’après la synthèse. Vous voyez un peintre qui est en train de commencer un tableau et quelqu’un à côté qui lui dit « Qu’est-ce qu’il fout ce jaune, là ? ». Moi y a une phrase que je déteste c’est quand on me dit « Je ne suis pas rentré dans ton film ». Je n’en ai rien à foutre que tu rentres dans mon film. C’est le film qui doit rentrer en toi. Qu’est-ce que ça veut dire « Je ne suis pas rentré dans le film » ? Je n’attends pas qu’on rentre dedans. Il est là à disposition. Ou on s’en va, ou on attend qu’il soit fini. Mais de dire « A ce moment-là j’ai pensé que, à ce moment-là j’ai pensé que » on fout le film en l’air ! Et en même temps il faut reconnaître que c’est presque automatique de dire « Mais pourquoi il fait ça, mais pourquoi… ». En tous cas j’essaie de me l’interdire. Je me dis « Attends, peut-être que…. Attends que le film soit fini… ».

En tous cas je sais que je suis toujours un peu agacé par quelqu’un qui me dit « Excuse-moi, mais je ne suis pas rentré dans ton film… ». Qu’est-ce que c’est le cinéma pour cette personne… Est-ce que c’est une distraction ? Mais est-ce que la même personne, à une autre séance, un autre jour aurait réagi de la même manière ? C’est fragile la perception quand même…  Je veux dire… entre un monsieur qui vient de perdre sa grand-mère, qui sort du cimetière et se dit « Je vais faire une toile pour me changer les idées », et un autre qui vient de faire l’amour… Ce n’est pas la même perception !

Ça n’existe pas le public. Il y a chaque spectateur. C’est ça qui compte : on travaille pour chaque spectateur. Moi, je me définis avant tout comme un chercheur. Je me considère comme un cinéaste chercheur. Je suis incapable de faire deux fois le même film … Même quand j’en tourne deux en même temps. Il y a tellement de possibilités … Il y a tellement de choses offertes à quelqu’un qui fait un film. Se contenter du formatage, du système, c’est presque trahir sa vocation.

 

Cinéma français contemporain

Etudiants

Avez-vous quelques cinéastes français, là, comme ça, qui vous viennent, que vous appréciez, à nous citer ?

Paul Vecchiali

Laurent Achard, Alain Guiraudie moins L’Inconnu du lac.

Etudiants

Pourquoi L’Inconnu du lac moins ?

Paul Vecchiali

C’est une horreur. Il y a un très beau personnage. Le gros, vaguement hétéro, qui vient en voyeur. C’est un très beau personnage, et les scènes avec lui sont très jolies, mais il est massacré par le tueur et surtout par la mise en scène. Pourquoi fait-il du gore sur ce personnage ? Quel est l’intérêt d’avoir tout ce sang, et d’avoir la voix off qui dit « J’attendais que ça. » ? Et puis le gros plan de la bite qui éjacule, moi, je ne peux pas. Et Dieu sait que j’ai fait Change pas de main donc que je ne suis pas prude. Un type qui a fait Ce vieux rêve qui bouge, qui est un des plus grands films français de l’époque, il n’a pas le droit, selon moi, de faire un film comme ça. Je ne dis pas que j’ai raison, je vous donne mon sentiment.

Je n’enlève pas du tout l’estime ni l’admiration que j’ai, surtout pour Ce vieux rêve qui bouge, mais aussi pour beaucoup d’autres films d’Alain Guiraudie. Je crois que tous les gens qui ont aimé le film et qui le lui ont dit lui portent tort. Maintenant c’est peut-être moi qui ai tort. Ce qui est rigolo, c’est que dans C’est l’amour, le héros est un acteur de cinéma qui est césarisé pour La coqueluche de la plage. Et on monte un extrait du film où les gens sont à poil sur la plage. Or j’ai été présenter C’est l’amour à l’avance sur recettes… Bizarrement j’ai été pris aux éliminatoires et je vais, comme on le fait maintenant, défendre le film à l’oral. Je suis à l’entrée de la cinémathèque et je vois arriver Alain Guiraudie qui me dit « Salut, tu me reconnais ? », je lui dis « Arrête tes conneries ». La première personne qu’il a vue à Paris quand il est arrivé de son Sud-ouest, c’était moi. Je n’ai pas pu faire son film, j’en avais sept sur le feu. Je lui ai dit « Si tu peux attendre, moi je veux bien te le produire, mais sinon va chercher ailleurs ».

Donc, je lui dis « Mais qu’est-ce que tu fais là ? », il me répond « Je fais partie de la commission de l’avance sur recettes ». J’attendais Thomas Ordonneau qui venait avec moi, comme il était coproducteur. Il vient, je lui dis « Aller, hop, on repart. ». Il me dit « Pourquoi ? », « Il y a Alain Guiraudie, il n’est pas fou, il est loin d’être con », il me dit « Mais oui, mais il a de l’humour Alain, tu verras », je lui dis « Ecoute, j’y vais pour te faire plaisir. » Et puis on l’a eu. Il y a quand même neuf voix. Je ne sais pas si j’ai eu les neuf voix. En revanche, j’ai téléphoné pour savoir combien j’avais eu de voix et la secrétaire m’a dit « Vous savez, c’est secret, je ne peux pas vous le dire. Mais ce que je peux vous dire en tout cas, c’est que vous l’avez eu haut la main ». Et moi je suis sorti en disant à Thomas que j’avais été nul. Mais ce que j’avais remarqué c’est que personne ne me regardait dans les yeux. Alors est-ce que je l’ai eu parce qu’ils ont aimé le scénario ou parce qu’ils ont dû se dire quarante-neuf refus de suite c’est quand même trop ?

La secrétaire m’a dit « Quand vous êtes sorti les gens ont dit unanimement qu’on a rarement rencontré un cinéaste aussi précis, net ». C’est ce qu’elle a dit, je ne me permettrais pas de parler de moi comme ça.

Etudiants

C’était après l’engouement de Nuits blanches sur la jetée ?

Paul Vecchiali

Oui, je pense que ça a aidé. Ça a aidé, et puis le fait aussi quand même qu’en trente ans j’ai été quarante-neuf fois au tapis. Je veux bien faire quarante-cinq merdes, mais quarante-neuf c’est un peu trop quand même. Surtout que le vote est secret, et dans les débats, j’avais des espions, tout le monde disait du bien du scénario et quand ils passaient au vote c’était « non ».

Télévision, cinéma, et distribution

Etudiants

Est-ce qu’avoir fait des téléfilms vous a apporté quelque chose dans votre création cinématographique parce que l’on dit souvent que la télévision ça restreint…

Paul Vecchiali

Ça a apporté de l’argent surtout. Ils me voulaient pour ce que je représentais d’économies. Il n’y a pas de raisons que je n’en profite pas, alors je demandais toujours très cher et le final cut. Si je n’avais pas les deux je ne faisais pas le truc.

Sinon rien de spécial non… J’ai dû user de beaucoup plus de diplomatie dans la TV que dans le cinéma. Parce qu’au cinéma on travaille en famille, et là il y avait beaucoup de gens syndiqués et il faut faire très attention à la susceptibilité des gens…

Etudiants

Et si le cinéma est une vocation, pour vous quelle serait-elle dans la société d’aujourd’hui ?

Paul Vecchiali

L’expression d’une personne qui offre aux gens qui veulent bien recevoir. Faudrait revenir à Bresson : le cinématographe.  Le cinématographe est un art pour moi. Dont il est vrai que c’est en même temps une industrie, un commerce, et j’ai fait de l’industrie et du commerce puisque j’ai été producteur, distributeur et que je rêvais d’acheter une salle. Un spectacle, un art et une industrie… ça fait les trois pieds d’une caméra, si l’un est plus haut que l’autre, l’horizon se casse la gueule… Quand on privilégie l’industrie et le commerce aux dépens de l’art on voit ce qui se passe.

Si je pense en « auteur » c’est au sens des Cahiers du Cinéma, de la politique des auteurs, expression qui est d’ailleurs un peu discutable parce qu’être auteur ce n’est pas écrire son propre scénario mais avoir une écriture filmique. Mais cette écriture est spécifique en fonction de chaque film. Je me souviens, quand j’ai fait Rosa la rose qui a été mon plus gros succès public, j’ai reçu 40 scénarios sur les prostituées avec des contrats mirifiques, des sommes que je n’avais jamais envisagées. J’ai dit non. Je viens de le faire. Je ne peux pas faire ça. Ce n’est pas une position morale ou je ne sais quoi, c’est une incapacité presque physique de me replonger dans mes traces… Je ne peux pas. Quand j’ai fait Femmes femmes, il y a eu cette espèce de délire critique, Pasolini etc. Je me suis senti devenir objet culturel.

Là-dessus on m’a proposé un porno, j’ai plongé. J’ai mis des conditions : liberté du sujet, le choix des comédiens, des techniciens…. Mais j’étais ravi de sortir de ça. Tout le monde m’a tourné le dos, tous les « femmes fameux » me tournaient le dos. Ensuite j’ai fait La machine, sur la peine de mort… Ils sont tous revenus. L’étrangleur, quand il est sorti, il y a eu deux papiers : un dans Image et son où j’écrivais donc c’est un copain, l’autre Jacques Siclier dans Le Monde. Rien dans les Cahiers. 35 ans après il sort à la télévision : 40 journaux titrent « chef-d’œuvre absolu » ! Moi je ne peux pas attendre 40 ans là maintenant.

C’est pour ça aussi quand on parle de public, de spectateurs, est-ce que le film arrive au moment où il faut ? Dans le public, dans l’espèce de volonté publique, dans le désir public, est-il arrivé au moment où il fallait ? Est-ce qu’on va lui donner la possibilité d’être vu par les gens qui souhaiteraient le voir ? Il y a toute cette problématique au cinéma. Moi je me battais, pour L’étrangleur je me suis battu comme un chien pour qu’il sorte dans les salles non « d’art et d’essai ». C’est vrai qu’il est assez film d’auteur, indiscutablement. Mais il y a un premier degré qui est accessible et le danger pour ce film-là, c’était, ou on est hyper cinéphile ou on est hyper public. Entre deux ça ne marche pas parce qu’ils se posent des questions qui ne sont pas les bonnes. Le film a été un échec, il a fait 4200 entrées, il est sorti des salles au bout d’une semaine… Ce qui m’arrive assez souvent… Le distributeur est mort. Je suis allé à la liquidation de la société pour reprendre mon film. J’ai filé sur le boulevard au cinéma qui s’appelait le Colorado à l’époque, je suis allé voir le propriétaire :

  • « Voilà, je suis producteur, distributeur… Et je voudrais vous demander si vous accepteriez de passer mon film. »
  • « Il s’appelle comment ? »
  • «L’étrangleur »
  • « Mettez les bobines là, je vous le passe ».

Il n’a même pas réfléchi. Le titre seul, ça lui a suffi. Il a fait dix semaines au Colorado et après il a fait tous les boulevards. Il y a un moment aussi où quand on est auteur, producteur, distributeur, il faut enlever la casquette. Il faut se dire « Bon, tu as fait un film, c’est très bien. Il te plait, il ne te plait pas. Il est réussi, il n’est pas réussi, c‘est autre chose mais maintenant il faut le peser. Qu’est-ce qu’il vaut niveau public ? ». Trous de mémoire c’est un film que beaucoup de gens ont trouvé réussi, on m’a proposé cinq salles, j’ai dit « Non, une salle au Quartier latin ». On a tenu quinze semaines. Corps à cœur, on m’a proposé 4 semaines au Quartier latin, j’ai refusé Gaumont, j’ai refusé UGC, au risque de tout perdre, et j’ai enfin eu Parafrance. Je voulais 22 salles et il m’a donné 22 salles. Le film a tenu 21 mois à l’affiche à Paris. Parce que j’étais sûr du bouche-à-oreille. J’avais mis la casquette de spectateur/distributeur/exploitant et je me suis dit « Y’en a là-dedans, y ’en a ». C’est un film surprenant qui tient au corps et au cœur et ça va marcher, c’est sûr. Et je me souviens que Sirilski, le distributeur, m’avait dit « Bon vous avez vos 22 salles, combien on va faire d’entrées sur 22 salles la première semaine ? », j’ai dit « Entre 10 et 12000 ». Il a fait un bond sur son fauteuil, il a dit « Quoi ?! Mais vous êtes fou ! », j’ai dit « Non, c’est le jeu ! Si vous le mettez sur tout Paris, si vous arrosez tout Paris, après vous pouvez restreindre à 6 salles je m’en fous. Mais le bouche à oreille va faire son effet ». Et c’est ce qu’il s’est passé. Quand on est arrivés au Gaîté Parnasse, il m’a mis dans la grande salle. Au bout de trois semaines il m’appelle et me dit « Vous savez Paul, comment j’aime le film, combien je vous estime, mais il faut que je le mette dans la petite salle ».  Je lui ai dit « Je m’en fous, mettez-le dans la petite salle, une semaine après vous le remettrez dans la grande ». C’est exactement ce qu’il s’est passé. Après il est passé dans les petites salles, on n’a pas fait des entrés mirifiques mais c’est un film qui était à disposition des spectateurs, parce que c’est ça que je souhaite.

Là je sors C’est l’amour au MK2 Beaubourg, je sais que c’est suicidaire et je ne peux pas discuter avec le distributeur parce qu’il y a cette idée préconçue, ou il a peut-être des tractations avec le cinéma, je ne sais pas. Je sais que c’est suicidaire et je me dis que si on tient deux semaines c’est le maximum. Quand on a sorti Nuits blanches sur la jetée au MK2 Beaubourg à la séance de vingt-deux heures pendant toute la semaine ils ont refusé 40 à 50 personnes. La deuxième semaine ils ont supprimé la séance de vingt-deux heures. Il y a des choses qui peuvent échapper comme ça, même à la logique. J’en ai une autre : pour Rosa la rose, on avait signé avec UGC à 5500 entrées au dimanche soir, à l’époque ça fonctionnait comme ça. Si au dimanche soir on avait 5500 entrées on gardait le film la semaine d’après. En huitième semaine au dimanche soir on était à 7800 entrées. Ils ont enlevé le film pour mettre un film de Chabrol en rediffusion, qui a fait 800 entrées dans la semaine. Donc ce n’est même pas de l’appât du gain. Ce sont des choses, des transactions qui sont bizarres… Je ne m’explique pas ça. Il y a des mystères et on n’y peut absolument rien, on ne peut pas se battre là-dessus. Par exemple, je pense avoir sur la France un panel de 50 à 60 000 personnes qui ont envie de voir mes films. Mais il faut qu’on puisse le leur montrer pour qu’ils viennent. Qu’ils puissent être dans les salles, dans les villes… Si on ne le fait pas ça ne marche pas.

Le questionnaire d’AMPAR

 

Le métier de réalisateur en un mot ? Ecriture

Le métier d’assistant réalisateur en un mot ? Vigilance

Un acteur avec qui vous aimeriez travailler ? Alain Delon

Un réalisateur avec qui vous aimeriez travailler ? Laurent Achard

Et une personne avec qui vous ne voudriez pas travailler ? Jacques Audiard (mais il y en a des tas)

Le film qui vous a le plus impressionné cette année ? New Mexico

Le film qui vous a le plus marqué dans votre enfance ? Mayerling

La pire des choses pour un réalisateur ? Voir capoter un de ses projets

Et pour un assistant réalisateur ? Idem

Ce qu’il peut arriver de mieux à un réalisateur ? Un gros budget bien financé

Ce qu’il peut arriver de mieux à un assistant réalisateur ? Un bon réalisateur

Un don que vous adoreriez avoir ? 30 Millions d’Euros